Au lendemain de mai 68 certains intellectuels d’extrême gauche abandonnèrent leurs livres et ce que certains dénonçaient déjà comme un confort “petit bourgeois” pour s’établir dans les usines et travailler de leurs mains. On les appela “les établis”. La plupart rompirent définitivement avec leur milieu, d’autres revinrent au point d’origine après quelques années d’immersion ouvrière. “Nos lieux communs” de Chloé Thomas revient avec acuité et délicatesse sur cette période particulière de l’histoire de notre pays. L’écrivain reconstruit la trajectoire
de Bernard et Marie qui vont tenter cette aventure dix ans plus tard comme pour raviver une flamme sur le point de s’éteindre, “… petit à petit, les usines avaient cessé d’occuper les esprits ( et c’est elles qu’on renonçait aussi, doucement, à occuper). Quelque chose à leur propos devenait historique, gagnait à ce titre en prestige ou en droit d’émouvoir, comme si elles étaient à peine moins sacrées qu’une de ces reliques joliment archivées qui éveillent la fascination et aussi le dégoût.” L’écriture de Chloé Thomas avance sur une ligne d’horizon brossée à la mine de plomb, des silhouettes qu’on croyait disparues se distinguent à nouveau et surgissent du tunnel de l’histoire. Bernard après quelques années va renoncer à la révolution tandis que Marie va continuer à travailler en usine. Pierre leur fils sera élevé par son père loin de Marie qui s’est définitivement éloignée. “ Pierre et Bernard avaient d’une certaine façon grandi ensemble, l’un contre l’autre, dans ce qu’ils auraient pu croire la même absence de Marie mais qui prenait en chacun d’eux une coloration différente , irréconciliable” C’est Jeanne, l’amie de Pierre, qui va tenter de retrouver les pièces manquantes de leur histoire. Progressivement les choix des uns et des autres viennent sourdre à la surface du récit et éclairent d’une lumière de crépuscule cette flamme que chacun entretenait de son côté. La révolution avait un prix mais quand on a vingt ans son évaluation n’a aucune importance, reste que plusieurs décennies plus tard chacun a réglé son addition et rien n’est vraiment terminé. Désormais les discours de Bernard sont truffés de guillemets qui sont autant de prises de distance avec ce que fut sa relation vis à vis de l’idée révolutionnaire. Que faut-il encore croire quand le temps a tout usé ? Au terme du roman on reste étourdi par la maturité de cet écrivain de trente ans qui parvient à sonder les silences d’une génération militante à travers le combat d’une femme qui assuma toutes les conséquences de son engagement. “Nos lieux communs” n’est ni un réquisitoire, ni un roman à charge mais plutôt un voyage au coeur d’un passé qui éclaire encore notre présent d’une faible lueur. Magistral !
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
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Au lendemain de mai 68 certains intellectuels d’extrême gauche abandonnèrent leurs livres et ce que certains dénonçaient déjà comme un confort “petit bourgeois” pour s’établir dans les usines et travailler de leurs mains. On les appela “les établis”. La plupart rompirent définitivement avec leur milieu, d’autres revinrent au point d’origine après quelques années d’immersion ouvrière. “Nos lieux communs” de Chloé Thomas revient avec acuité et délicatesse sur cette période particulière de l’histoire de notre pays. L’écrivain reconstruit la trajectoire de Bernard et Marie qui vont tenter cette aventure dix ans plus tard comme pour raviver une flamme sur le point de s’éteindre, “… petit à petit, les usines avaient cessé d’occuper les esprits ( et c’est elles qu’on renonçait aussi, doucement, à occuper). Quelque chose à leur propos devenait historique, gagnait à ce titre en prestige ou en droit d’émouvoir, comme si elles étaient à peine moins sacrées qu’une de ces reliques joliment archivées qui éveillent la fascination et aussi le dégoût.” L’écriture de Chloé Thomas avance sur une ligne d’horizon brossée à la mine de plomb, des silhouettes qu’on croyait disparues se distinguent à nouveau et surgissent du tunnel de l’histoire. Bernard après quelques années va renoncer à la révolution tandis que Marie va continuer à travailler en usine. Pierre leur fils sera élevé par son père loin de Marie qui s’est définitivement éloignée. “ Pierre et Bernard avaient d’une certaine façon grandi ensemble, l’un contre l’autre, dans ce qu’ils auraient pu croire la même absence de Marie mais qui prenait en chacun d’eux une coloration différente , irréconciliable” C’est Jeanne, l’amie de Pierre, qui va tenter de retrouver les pièces manquantes de leur histoire. Progressivement les choix des uns et des autres viennent sourdre à la surface du récit et éclairent d’une lumière de crépuscule cette flamme que chacun entretenait de son côté. La révolution avait un prix mais quand on a vingt ans son évaluation n’a aucune importance, reste que plusieurs décennies plus tard chacun a réglé son addition et rien n’est vraiment terminé. Désormais les discours de Bernard sont truffés de guillemets qui sont autant de prises de distance avec ce que fut sa relation vis à vis de l’idée révolutionnaire. Que faut-il encore croire quand le temps a tout usé ? Au terme du roman on reste étourdi par la maturité de cet écrivain de trente ans qui parvient à sonder les silences d’une génération militante à travers le combat d’une femme qui assuma toutes les conséquences de son engagement. “Nos lieux communs” n’est ni un réquisitoire, ni un roman à charge mais plutôt un voyage au coeur d’un passé qui éclaire encore notre présent d’une faible lueur. Magistral !
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)