« Parfois les mots sont comme des flèches. Ils vont et viennent, blessent et tuent, comme à la guerre. Voilà pourquoi j’aime bien enregistrer les adules. Surtout quand ils parlent de leurs affaires et que soudain, comme par magie, ils éclatent tous de rire. » Tommy 12 ans, atteint d’une grave maladie cardiaque lui interdisant de trop gesticuler, s’amuse beaucoup à ce jeu, jusqu’au jour où les vieux secrets remontent à la surface.
C’est un jeu de cache-secrets mortel qui se joue dans cette famille. Comme dit Tommy, très mûr pour son âge, chacun a sa vérité, mais personne
n’en parle. L’incommunicabilité comme ciment familial, on fait mieux question sérénité.
Carla Guelfenbein tresse une trame, à défaut d’une natte qui supposerait des échanges, qui m’a tenue éveillée jusqu’à la fin du livre.
Chaque personnage est représenté par un logo qui le définit parfaitement
-Sablier pour Juan, le père : le temps qui coule, le temps qu’il compte, le temps qu’il donne à ses malades, le temps qu’il ne prend pas avec Tommy, le temps des souvenirs.
- Flèche du sagittaire pour Tommy ; « parfois, les mots sont comme des flèches ». Il en reçoit beaucoup de flèches, elles sont fichées en lui et l’étouffent.
- le symbole de l’eau pour Alma, la mère ; « vers dix sept ans, ma perception du monde était celle d’une habitation remplie d’eau. » Elle vit entre deux rives, s’est construit son barrage que les évènements feront éclater.
Juan porte en lui le lourd secret de la mort de sa femme que Tommy, avec son habitude d’écouter et enregistrer les conversations en cachette, recevra en pleine figure lors d’un repas familial. Les turbulences secouent les bases de la famille, les lézardes apparaissent, les secrets remontent à la surface. Chacun essaie de nager à contre-courant puis se laisse emporter par les vagues. J’ai eu cette vision d’oiseaux se cognant à un mur de verre transparent, s’y blessant, y retournant pour mieux se blesser. Tout marche par deux : Juan et Alma, un couple où l’un domine l’autre ou, du départ, il y a un léger malentendu ; Alma et Tommy qui utilisent souvent le langage des sourds-muets pour communiquer ; Juan et Tommy qui n’arrivent pas à se parler, à se dire tout leur amour.
Un livre puissant et magnifique. Carla Guelfenbein met à nu ses personnages, éclaire leurs doutes et leurs angoisses. Son écriture, tout en retenue, renforce le sentiment de mal-être, renforce les non-dits, les secrets jusqu’à ce que, du fond de la piscine, ils donnent le coup de pied qui leur permettra d’oser.
poignant
Ce roman à trois voix est poignant. On y vit les évènements depuis les points de vue de Tommy, de son père Juan et de sa belle-mère Alma qui ont chacun leur histoire, leurs souvenirs, leurs luttes internes, et qui avancent dans la vie comme dans une danse où tantôt on se rapproche, tantôt on s'éloigne...
Une belle découverte.