Lamb, c’est le nom de famille du personnage principal qui restera, malgré quelques bribes de lui dévoilées peu à peu, profondément secret et mystérieux tout au long du roman. David Lamb a la cinquantaine et, alors qu’il vient d’enterrer son père, une très jeune fille vient lui demander une cigarette. Tout en elle, son accoutrement grossier, son corps recouvert de taches de rousseur, sa médiocrité palpable, attire l’attention de David, qui comprend immédiatement qu’elle est en train de se livrer à un défi, deux amies l’observant en ricanant. Mais il est agacé par ce petit
jeu et, après lui avoir offert cette fameuse cigarette, et même tout le paquet, il l’enlève, pour lui faire peur, pour lui donner une bonne leçon, et pour d’autres obscures raisons. Lorsqu’il lui semble que Tommie, c’est le nom de l’enfant, a eu suffisamment peur pour comprendre la leçon, il la reconduit chez elle. Malgré cette expérience éprouvante, Tommie et Lamb vont tous deux chercher à se revoir et à se connaître.
Ainsi, dès le début du roman, le problème de la limite est posé avec clarté et profondeur. En effet, dès ce simulacre d’enlèvement, Bonnie Nadzam parvient à créer une atmosphère à la fois inquiétante et douce, obligeant le lecteur à craindre pour Tommie tout en respectant le plaisir que celle-ci prend dans la compagnie de cet homme nettement plus âgé qu’elle. Car le problème est là : Tommie n’a que onze ans. Que peut bien chercher Lamb en sa compagnie ? Est-il, car il faut énoncer le mot qui ne sera jamais évoqué dans le roman, bien que le risque principal soit plus que sous-entendu, un pédophile, un manipulateur qui parviendra, tel un Humbert Humbert du vingt-et-unième siècle, à gagner les faveurs de sa Lolita sans avoir jamais à la forcer ? Lamb est opaque, et ses desseins sont étranges. Est-il simplement fasciné et attendri par la fillette, savourant dangereusement en elle l’innocence qu’il a perdue ? Ou entretient-il des projets inavouables ? Quoi qu’il en soit, lorsque ce couple improbable décide de partir à l’aventure, une semaine ou plus, dans les montagnes, il devient impossible de ne pas être glacé par le projet, qui ne semble rien d’autre qu’un enlèvement consenti. Faut-il alors respecter le choix de la fillette, qui accepte librement de suivre Lamb, ou faut-il considérer tant celui-ci est beau-parleur, qu’il l’a déjà manipulée ?
Ce sont toutes ces questions qui font de Lamb un roman puissant et profond, à l’atmosphère inquiétante puisque le problème principal reste longtemps sous-jacent, comme une toile qui se refermerait lentement sur sa proie, selon les vœux de cette dernière. La subtilité de l’auteure est également admirable, celle-ci parvenant à aborder avec élégance un sujet profondément tabou, grâce à une écriture qui possède une grande puissance d’évocation.
Lamb
David Lamb, un homme un peu perdu, âgé de cinquante ans, se prend d'amitié pour une jeune Lolita de onze ans, Tommie. Ils se voient régulièrement pour discuter jusqu'au jour où il lui propose de l'emmener dans son chalet dans les Rocheuses… Un roman sur un prédateur sexuel ? Non, un roman singulier, ambigu qui dérange lorsqu'il dévoile la manipulation qu'opère David sur Tommie. Dans quel but cet homme dont les fragilités se révèlent petit à petit veut-il à tout prix s'occuper de cet enfant ? Des dialogues incisifs, un roman psychologique qui nous laisse toujours sur le fil du rasoir dans une attente haletante. Le détachement implacable et la maîtrise d'une écriture étincelante dont fait preuve l'auteur laissent le lecteur libre de se faire sa propre opinion. Magistral !