Couverture en parfaite harmonie avec le réalisme merveilleux ou le merveilleux réalisme d'un policier qui nous entraîne dans les tourbillons du Danube et les mystérieux hauts fonds de la Mer Noire. Nous y rencontrons es êtres étranges, aussi fantomatiques que bien en chair.
On ne pouvait rêver plus belle découverte d'une Roumanie dont les vampires sont des poissons carnassiers. Le Nouvel Attila prouve une fois de plus qu'il sait bousculer les frilosités d'une corporation dont l'ouverture à la nouveauté ne dépasse guère le monde anglo-saxon.
A lire sans modération:
- Ils se
sont accrochés leurs fils sur eux, directe! Ils vont les rendre fous ! dit Olubé, les yeux fixés sur le groupe des nageurs qui avançaient vers le large.
Le jeune homme blond s’éloigna de la digue et se mit à nager lui aussi en direction des pêcheurs. Lorsqu’il arriva près d’eux, il s’arrêta, inspira profondément puis plongea jusqu’au fond de l’eau où il s’accrocha à une grosse pierre fichée dans le sable. Caché derrière elle, le jeune homme observa, au comble de l’étonnement, la scène : les pêcheurs qui étaient plus de cent s’étaient arrêtés de nager et flottaient maintenant à la surface, les uns sur le dos, d’autres sur le ventre, pour attendre le banc de maquereaux qui ne tarderait pas à arriver. Ils étaient tous nus et portaient accrochés à même la peau des bras, des jambes et même du dos, des dizaines d’hameçons auxquels étaient fixés des fils de nylon d’environ trois mètres sur lesquels étaient attachés d’autres hameçons portant des mouches jaunes qui s’agitaient de manière alléchante dans l’eau. Monture spéciale. Vus de bas en haut, les pêcheurs ressemblaient à des méduses dont les tentacules caressaient langoureusement l’eau dans l’attente de la proie. Les maquereaux ne tardèrent pas à apparaître. Les petites écailles de leurs corps fusiformes reflétaient la lumière du soleil en d’innombrables éclairs qui prirent d’assaut les franges jaunes fixées aux hameçons. Dès qu’ils les sentirent près d’eux, les pêcheurs semblèrent reprendre vie tout d’un coup. Ils se mirent à faire onduler leurs corps, leurs mains, leurs jambes pour attirer à eux tout le banc des poissons qui s’étaient immobilisés comme ensorcelés autour des tentacules et flairaient les fils qui s’agitaient. Au bout de quelques secondes d’accalmie totale où les écailles des maquereaux frôlaient les corps des pêcheurs et se perdaient entre les mouches qui pendaient à leur peau, les hommes lancèrent la chasse : leurs bras se tendirent, leurs jambes bondirent, leurs corps se tortillèrent et les fils couverts d’hameçons décrivirent de rapides zigzags accrochant dans leurs mouvements vifs les maquereaux qui, surpris, se prenaient, impuissants, aux crochets. Une fois piqués au ventre, aux nageoires ou à la queue, les poissons ne pouvaient pas plus se détacher que des mouches prises sur une bande collante. Du fond de l’eau, le jeune homme observait, stupéfait, le spectacle qui se déroulait au-dessus de lui : un bouillonnement d’écailles étincelantes fouettées par les tentacules de nylon. Les pêcheurs faisaient des culbutes, leurs corps tournaient en vrille et tiraient par saccades les fils accrochés à leur peau, leurs mouvements donnaient l’impression d’un ballet en apesanteur. corps contorsionnés, les fils ne se touchaient pourtant pas, ne s’emmêlaient pas, comme si chaque pêcheur connaissait exactement les limites de la zone qui lui était réservée. Lorsque le jeune homme sentit qu’il n’y tenait plus, il remonta en surface et retourna à la nage vers la digue. Il s’accrocha aux blocs de calcaire où il avait posé ses moules et se mit à respirer par saccades.- Oh, oh, t’es resté un moment sous l’eau ! dit Olubé tout en regardant les pêcheurs qui ressortaient de la mer.Dès qu’il eut retrouvé sa respiration normale, le jeune homme tourna la tête et observa, en train de remonter sur les stabilopodes, les pêcheurs tout nus portant à même la peau des rangées de poissons vivants. Un vieux à la peau brûlée par le soleil sortit de l’eau juste à côté de lui et s’aidant des bras, il grimpa sur un stabilopode. Il portait accrochée sur le dos une pèlerine de tissu vivant fait de poissons qu’il remonta en même temps que lui sur les pierres les plus hautes où il s’installa et se mit à retirer de sa peau, un à un, les hameçons et les fils sur lesquels se débattaient encore des dizaines de maquereaux. Un autre était sorti de l’eau avec deux longs fils de nylon accrochés aux lobes de ses oreilles et les poissons pris aux crochets lui faisaient comme des boucles d’oreille étincelantes en argent. Bientôt toute la digue se remplit d’hommes revêtus de capes de poissons qui, une fois détachés des hameçons, s’accumulèrent dans les épuisettes et les filets ornant la digue.
La femme qui a mangé les lèvres de mon père
Alors ça !, ce genre de lecture je ne l'avais pas vu venir... même si la superbe couv' ouvre déjà un paquet de champs de possibles... un truc qui te prend un peu par la main un peu par surprise, ça sent le bonheur de lecture à plein nez dès les premières et l'impression ne disparaît jamais... parce qu'en réalité ce bouquin c'est simplement un putain de bonheur de lecture !, voilà... c'livre-là c'est un zoo à histoires dont on aurait ouvert bien grands les grilles, y a plein de bestioles bizarres qui en sortent et qui se mettent à translucider des histoires pas trop croyables... c'livre-là c'est un bestiaire de types qui ont tous une version de l'histoire dans la gueule, alors ça s'empile, ça s'entortille, ça s'emboîte comme des cigognes sur les cheminées... c'est de la fantasmagorie ancrée de notre bon vieux réel, toujours rehaussée d'une lampée de bière cette histoire-que-je-vais-vous-raconter parce que les griots de cette Roumanie ça aime bien rincer les mots avant de les faire sortir... c'est rare tout de même ce genre de plaisir-là, cette gourmandise qui ne nous étouffe pas, ces pages qu'on bouffe d'une pelletée, ces mots qui viennent faire tout un tas de petits nœuds rigolos autour de la langue... un vrai fichu bonheur de lecture ouais que cette femme qui a mangé les lèvres de mon père, avec toute cette tendresse et cette férocité en même temps.