Après le coup d’état qui a mis à la tête du pays et de l’empire Napoléon III, Aristide Rougon quitte Plassans pour Paris dans l’espoir de s’enrichir. Il y retrouve son frère Eugène, désormais ministre et homme d’influence à qui il demande de faire jouer ses relations pour lui offrir une bonne situation. Eugène lui recommande de changer de nom pour ne pas le compromettre – il devient Aristide Saccard – et lui offre un poste d’agent voyer. Aristide, impatient de faire fortune, est très déçu et frustré de n’avoir pas immédiatement la vie bourgeoise dont il rêve.
Il finit par comprendre tout l’intérêt qu’il peut y avoir dans ce poste puisqu’il est très vite dans la confidence des futurs travaux qui révolutionneront Paris. Il se livrera alors sans complexe à la spéculation immobilière. Mais pour pouvoir débuter ses activités, il a besoin d’un premier apport financier. Il demande de l’aide à sa sœur Sidonie, femme d’intrigue dont on ne sait au final bien peu de choses. Celle-ci lui fait rencontrer la jeune Renée Béraud-Duchâtel au lendemain de la mort de sa première épouse. Renée se retrouve dans une situation fort délicate suite au viol qu’elle a subi. Peu à peu, Aristide, son fils Maxime et Renée vivront dans la richesse et l’opulence. Aristide escroque à tout va, Maxime jouit de sa jeunesse et de sa fougue, Renée s’ennuie dans ces plaisirs bourgeois qui ne la satisfont plus jusqu’au jour où elle tombe amoureuse de son beau-fils.
Après Plassans, paysage principal de La Fortune des Rougon, nous voilà à Paris. La ville joue dans ce roman un rôle très important. Elle est le siège des spéculations immobilières des nouveaux riches, le terrain privilégié des balades bourgeoises, l’oreille attentive des ragots, la terre de l’Empereur. Loin d’être immobile, elle est saisie ici dans ce qui sera sa plus grande reconstruction.
Dans ce deuxième tome de la série, c’est le personnage d’Aristide Saccard qui fait le lien avec les Rougon-Macquart (Eugène Rougon n’apparaissant qu’à de brèves occasions). D’ailleurs, le changement de son nom surprend, tendant à l’éloigner de son ascendance. Autre aspect intéressant, le fait que ce nouveau nom se rapproche par ses sonorités de « Macquart » et s’éloigne de « Rougon ». Tant et si bien que j’avais presque oublié à certains moments qu’Aristide était un Rougon. Mais son caractère est là pour nous le rappeler : fourbe, escroc, sans morale, Aristide est un personnage détestable, même si on peut apprécier son évolution (très rapide !) au tout début du roman quand il découvre les bienfaits de la patience. Personnage si immorale qu'il fermera les yeux sur l’adultère du moment qu’il aura obtenu ce qu’il voulait financièrement de son épouse.
Mais le personnage central de ce roman est en fait Renée. La jeune femme, fille d’un veuf et élevée par sa tante, avec sa sœur, a longtemps vécu dans un pensionnat avant de tomber enceinte après un viol. Suite aux manigances de sa tante aimante, elle épouse Saccard afin de retrouver son honneur perdu. Au début, Renée est heureuse dans les fastes de la bourgeoisie jusqu’à ce qu’elle s’ennuie, désirant autre chose qui la ferait vibrer. Elle retrouve de l’intérêt à sa vie, lorsque le fils de son mari, Maxime, s’installe avec eux. Très vite, ce jeune homme deviendra son confident. Les amies de Renée adorent ce garçon androgyne, au goût pour la mode très prononcé. Ils partagent ensemble soirées huppées et confidences. Jusqu’au jour où l’amitié se transforme en inceste. Pour la première fois, c’est une Renée amoureuse que nous rencontrons, une Renée semblant retrouver une étincelle qu’elle-même pensait disparue. Dans cet acte criminel, Renée se prélasse avec plaisir. Ce personnage est le plus développé par Zola. Elle est la victime de l’intrigue, la victime de l’alliance involontaire du père et du fils. L’un en veut à sa fortune, l’autre bien conscient de leur faute s’apprête à tout instant à l’abandonner. Finalement, Renée se retrouve seule, observant avec angoisse à la fin du livre le cortège des bourgeois qu’elle fréquente habituellement, se sentant loin de ce monde. Elle retournera auprès de son père dans sa maison d’enfance avant de s’éteindre un an plus tard.
Encore une fois, j’ai adoré ce roman. Pourtant, je n’ai pas toujours tout compris aux ruses de Saccard, aux différentes spéculations immobilières qui l’enrichissent, mais le style de Zola permet de ne pas se laisser décourager par certains passages un peu plus complexes. Et puis très vite, on retrouve le personnage passionnant de Renée, le Paris qu’elle partage avec Maxime, leur amour interdite. Je suis triste de laisser là Renée, que j’aurais aimé suivre encore. Mais j’ai hâte de poursuivre mes lectures pour être charmée, intriguée, émue par d’autres personnages.
"Mais elle ne voyait que ses cuisses roses, ses hanches roses, cette étrange femme de soie rose qu'elle avait devant elle, et dont la peau de fine étoffe, aux mailles serrées, semblait faite pour des amours de pantins et de poupées."
Splendeur et décadence de la bourgeoisie parisienne du 19e siècle !
Dans ce deuxième opus de la saga des Rougon-Macquart, Emile Zola nous entraîne dans le sillon de la ruée vers l’or aux côtés de cette famille dont la cupidité ne cesse de croître. Il nous transporte dans les salons dorés de la bourgeoisie parisienne où le luxe côtoie la débauche. Ainsi l’auteur dénonce, avec force détails, les abjectes manœuvres financières et les intrigues de bas étage, menées par une poignée d’hommes, peu scrupuleux, prêts à toutes les compromissions et toutes les infamies pour accroître leurs gains, profitant des nombreuses opportunités spéculatives à saisir lors des grands chantiers de reconstruction de Paris, lancés par le baron Haussmann sous l’égide de Napoléon III. En parallèle, la place et le sort réservés aux bourgeoises de l’époque est décrit de manière peu enviable. Servant les intérêts de leurs riches époux, elles étaient plus convoitées pour leur physique et leur plastique qu’appréciées pour leur esprit et leur intelligence. Renée, l’épouse d’Aristide Rougon/Saccard, en fera les frais et connaîtra une fin funeste. Le style d’écriture est changeant au fil des pages, il passe des grandes envolées lyriques, pour la description de la beauté des lieux, à des tournures de phrases dures et cassantes, prenant parfois des accents plus cocasses, pour dépeindre la noirceur des sentiments et dévoiler la rouerie des principaux protagonistes du roman. Le lecteur se laisse emporter par le rythme époustouflant du récit, comme happé par la richesse des lieux et les plaisirs mondains. Il voyage dans le temps à la découverte du Paris rutilant et opulent du 19e siècle sous la célèbre plume, talentueuse et impériale, du grand écrivain ! On s’y croirait vraiment….