Dans les beaux quartiers de Paris en ces années vingt, Gabri et Michette n’occupent que bien peu de place dans les préoccupations et l’emploi du temps de leur mère. Absorbée par sa vie mondaine et sentimentale, cette jolie femme collectionne les plaisirs et les amants, laissant ses deux filles aux bons soins de la bonne, pendant que le mari s’emploie à faire prospérer les affaires familiales. Gabri grandissant, la frivolité maternelle lui devient de plus en plus insupportable, surtout après le drame qui frappe sa cadette. Une véritable haine investit l’adolescente, qui, prenant
conscience de son tout neuf pouvoir de séduction, entrevoit le moyen de se venger de sa vieille coquette de mère, désormais sur le retour.
Largement autobiographique, ce roman de jeunesse comprend déjà bon nombre des ingrédients qui reviendront en leitmotiv dans l’oeuvre d’Irène Némirovsky. L’Ennemie est la première version de cette histoire qu’elle ne cessera de réécrire avec un réalisme satirique : celle de sa relation conflictuelle avec sa mère, sur le fond acidement représenté de la société bourgeoise des années folles. Si tous les personnages sont peints au vitriol, en particulier les hommes, veules et amoraux quand ils ne sont pas absents et tout entiers consacrés à leur ambition et à l’argent, celui de « Petite mère » est un summum de détestation. Parvenue frivole et coquette, effrayée à l’idée de vieillir, elle ne se préoccupe que d’elle-même et de ses amants, se révélant une mère défaillante que ses enfants encombrent. Passée de la répulsion pendant l’enfance à la haine franche à l’adolescence, sa fille Gabri en vient aussi à se détester, lorsqu’elle prend conscience que sa volonté de vengeance la pousse à jouer le même jeu que sa mère.
Le style incisif, tout en phrases brèves et dures, s’accorde avec le regard acéré que Gabri porte sur elle-même et sur son entourage. Cruel, le récit se tisse d’autant de haine que d’auto-détestation. Toute entière à sa révolte, cette fille à qui personne n’a appris ce qui est bien, ce qui est mal, se perd en même temps qu’elle cherche sa revanche. La narration ne s’est pas encore débarrassée de la culpabilité de l’affrontement avec la mère, comme elle le fera un peu plus tard dans le beaucoup plus ironique - et même drolatique - Bal, dont le dénouement transforme cette femme détestée en simple objet de pitié, enfin vaincu.
Ce très court classique écrit dans les années trente n’a rien perdu de sa modernité. Sa concision mordante et la finesse toute autobiographique de ses personnages en font une lecture fascinante, particulièrement cruelle, mais aussi représentative de l’ambiance électrique des années folles.
Un classique qui n'a rien perdu de sa modernité
Dans les beaux quartiers de Paris en ces années vingt, Gabri et Michette n’occupent que bien peu de place dans les préoccupations et l’emploi du temps de leur mère. Absorbée par sa vie mondaine et sentimentale, cette jolie femme collectionne les plaisirs et les amants, laissant ses deux filles aux bons soins de la bonne, pendant que le mari s’emploie à faire prospérer les affaires familiales. Gabri grandissant, la frivolité maternelle lui devient de plus en plus insupportable, surtout après le drame qui frappe sa cadette. Une véritable haine investit l’adolescente, qui, prenant conscience de son tout neuf pouvoir de séduction, entrevoit le moyen de se venger de sa vieille coquette de mère, désormais sur le retour.
Largement autobiographique, ce roman de jeunesse comprend déjà bon nombre des ingrédients qui reviendront en leitmotiv dans l’oeuvre d’Irène Némirovsky. L’Ennemie est la première version de cette histoire qu’elle ne cessera de réécrire avec un réalisme satirique : celle de sa relation conflictuelle avec sa mère, sur le fond acidement représenté de la société bourgeoise des années folles. Si tous les personnages sont peints au vitriol, en particulier les hommes, veules et amoraux quand ils ne sont pas absents et tout entiers consacrés à leur ambition et à l’argent, celui de « Petite mère » est un summum de détestation. Parvenue frivole et coquette, effrayée à l’idée de vieillir, elle ne se préoccupe que d’elle-même et de ses amants, se révélant une mère défaillante que ses enfants encombrent. Passée de la répulsion pendant l’enfance à la haine franche à l’adolescence, sa fille Gabri en vient aussi à se détester, lorsqu’elle prend conscience que sa volonté de vengeance la pousse à jouer le même jeu que sa mère.
Le style incisif, tout en phrases brèves et dures, s’accorde avec le regard acéré que Gabri porte sur elle-même et sur son entourage. Cruel, le récit se tisse d’autant de haine que d’auto-détestation. Toute entière à sa révolte, cette fille à qui personne n’a appris ce qui est bien, ce qui est mal, se perd en même temps qu’elle cherche sa revanche. La narration ne s’est pas encore débarrassée de la culpabilité de l’affrontement avec la mère, comme elle le fera un peu plus tard dans le beaucoup plus ironique - et même drolatique - Bal, dont le dénouement transforme cette femme détestée en simple objet de pitié, enfin vaincu.
Ce très court classique écrit dans les années trente n’a rien perdu de sa modernité. Sa concision mordante et la finesse toute autobiographique de ses personnages en font une lecture fascinante, particulièrement cruelle, mais aussi représentative de l’ambiance électrique des années folles.