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Aucune enquête, aucun chiffre, aucun reportage ne saura nous faire prendre en haine l'esclavage contemporain comme l'image des bras maculés de sang d'Eddie, 17 ans, conduisant sa Subaru dans la scène d'ouverture, hallucinée, de ce roman.
Il vient de s'évader de la ferme Delicious Foods, exploitation géante - et pas seulement agricole -, au cour de la Louisiane où Darlene, sa mère, a été recrutée 6 ans plus tôt, comme d'autres toxicomanes.
Productrice de fruits et légumes, Delicious Foods maltraite ses ouvriers et les maintient prisonniers grâce à la triple contrainte de la terreur physique, d'un endettement perpétuel à l'entreprise et d'une addiction à la drogue qui leur est continuellement fournie.
Abandonné à son sort, le tout jeune Eddie fera tout pour retrouver la trace de sa mère, la rejoindre et l'aider à se libérer de ce piège.
Dans ce prodigieux roman qui a valu à James Hannaham tous les honneurs Outre-Atlantique (Pen/Faulkner Prize), trois voix se succèdent pour raconter la spirale infernale?: une mère prisonnière, un fils révolté et puis.
la drogue, pour une fois présentée sous son jour le plus troublant?: elle est un bateleur, un séducteur, un amant jaloux.
Un récit saisissant sur l'esclavage moderne
Tout commence par une belle histoire d’amour. Darlene et Nat se sont rencontrés au lycée et ils tombent passionnément amoureux. Ils s’installent à Ovis en Louisianne, attendent leur premier enfant et créent une petite épicerie qu’ils appellent Mount Hope.
Tout aurait pu continuer dans la joie et le bonheur si Darlene et Nat n’étaient pas noirs et ne vivaient pas dans une ville du Sud des Etats-Unis où sévit un racisme latent dont ne sont toujours pas débarrassés les habitants blancs depuis la Guerre de Sécession.
Les événements catastrophiques s’enchaînent et Darlene devient accro au crack ce qui situe ce roman dans le dernier quart du XX e siècle.
Elle se fait alors « embaucher » par les rabatteurs de la ferme Delicious qui produit des fruits et légumes en toute illégalité et qui fait travailler des drogués en échange de leur dose quotidienne.
C’est avec l’évasion impressionnante d’Eddy, le fils de Darlene qui a fini par retrouver sa mère et est devenu esclave à l’âge de 12 ans, que commence ce récit saisissant.
James HANNAHAM y dénonce l’esclavage moderne qui sévit dans l’ombre et nous révèle l’horreur des conditions de vie déplorables et les mauvais traitements que subissent ces drogués, incapables de la moindre réaction.
Outre le narrateur qui raconte cette histoire étonnante, l’auteur a créé un autre narrateur qu’il appelle Scotty et qui n’est pas une personne mais le crack lui-même. Son parler est populaire et familier, il est excessif, sensuel et amoureux des drogués et plus particulièrement de Darlene. Ses apparitions décalées et son humour désabusé détendent l’atmosphère et apportent une vision interne du phénomène de l’addiction.
Si les propos de ce roman paraissent parfois choquants, c’est qu’ils ne sont certainement pas bien loin d’une réalité à révéler au grand jour. Tous les sentiments s’y bousculent, de la force de l’amour à la vulnérabilité du deuil, de la soumission des esclaves à la cruauté des janissaires, des regrets d’une mère au pardon d’un fils.
C’est un difficile mais très beau roman que j’ai lu avec passion et que je recommande vivement pour son style très original, son engagement pour la cause afro-américaine et ses personnages hauts en couleur, humains ou non.