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"Le concept d'ambiance" de Bruce Bégout est l'exemple même de ce que la philosophie française contemporaine fait de mieux. L'auteur , après le très remarqué "la décence ordinaire" fait une nouvelle fois preuve d'une immense sagacité d'esprit.
"Si l'ambition contemporaine la pus noble de la philosophie est de "surmonter la séparation", de dépasser la division du moi et du monde, de penser ce qui les précède et les féconde originellement, à savoir l'appartenance, alors le phénomène de l'ambiance nous fait pénétrer dans ce fond indifférencié mais non indifférent de l'être".
( P45) -cet essai, d'influence phénoménologique (B.Bégout est un spécialiste de Husserl) est largement à la hauteur de cette ambition....Il emprunte ses exemples à l'histoire de l'art, à la littérature et, bien sûr à la philosophie et s'adresse à un public attentif ; s'immerger dans ce grand et beau texte est une expérience "ambiancielle" unique!
Jim Holt nous emmène, par cette enquête haletante, des abysses métaphysiques les plus profondes aux sommets existentiels les plus élevés, en passant par les confins de l'interrogation la plus intime. Voici une lecture tonique et résolument vertigineuse, parsemée d'humour mais non déconnectée du tragique ; de la mort de son chien à celle de sa mère, de Sartre à Penrose , Jim Holt ne nous épargne rien des détours de sa pensée, pour notre plus grand plaisir. "Pourquoi le monde existe -il" se dévore comme un bon polar et stimule nos neurones, jusqu'à sa fin inattendue, habile et non dénuée d'une certaine tendresse pour ce bon vieux monde.....
Nous sommes entrain de sortir du monde commun tel que caractérisé pa H.Arendt comme celui de la politique, c'est à dire celui où nous pouvons négocier entre vues divergentes : nous ne serions plus que des monades atomisés, dressés les uns contre les autres, dopés aux réseaux sociaux et à BFM TV...
Le dernier E.Sadin dresse un portrait sombre de l'individu contemporain, mais il est difficile de lui opposer des contre-arguments, sauf à lui suggérer, à titre de contre-exemples, que, dans les marges subsistent des bastions de vie commune possibles.
Mis il est vrai que son analyse s'impose
comme réaliste et logique, rapport à la majorité ; à lire pour saisir ce qui pourrait (devrait?) etre l'enjeu majeur de notre siècle : celui de notre vivre-ensemble car "aujourd'hui , nous vivons le stade oxymorique d'un isolement collectif" (p327).
La mégamachine, c'est notre système monde, notre forme d'organisation sociale qui semble fonctionner telle une machine, au sens où Lewis Mumford (1895-1990) forgea ce terme. Ce livre propose une histoire de son "processus d'expansion qui a commencé en Europe il y a cinq siècles (et qui) se révèle etre une histoire qui (...) fut synonyme de déportation, de paupérisation, de violence massive-allant jusqu'au génocide-et de saccage des territoires" (p13), pour comprendre pourquoi nous n'arrivons pas à mettre en oeuvre une alternative à ce système, arrivés que nous sommes à un point de butée; nous examinerons quels sont les facteurs de blocage en remontant le cours de l'histoire depuis la préhistoire au Proche-Orient et dans l'espace méditerranéen, analysant l'expansion du système monde moderne depuis l'Europe vers le reste du monde. Questionnant le rapport au pouvoir de l'homme (le chapitre sur la métallurgie se réfère à la mythologie tout autant qu'à Tolkien), son rapport à la force, à la peur aussi, ce livre plonge au racines de nos problèmes contemporains qui sont des questions de civilisation. Il pose aussi la question du fascisme et garde toujours en ligne de mire l'idéal de l'auto-organisation et de la démocratie. "presque toute la production en Catalogne était aux mains des travailleurs (..).L'absence de chefs n'a absolument pas fait reculer la production : dans bien des domaines et tout particulièrement en agriculture, elle a même augmenté.Les ouvriers n'ont pas été seulement attaqués par les fascistes mais aussi par le parti communiste fidèle à Moscou". Il ne fait pas l'impasse sur les subtilités de l'histoire et aborde tous les sujets liés à son thème avec une extrême profondeur et même une certaine ferveur dans le style. Un ouvrage épatant.
Voici un sympathique et rafraîchissant ouvrage. Les éditions de l'Opportun s'y connaissent en humour fin et décalé et dans tout ce qui se rapporte à la langue française ; car Kaamelott est une mine de premier choix -ça démarre fort avec de la philosophie du langage puis on enchaine avec la théorie du rire chez Bergson...Des index bienvenus complètent l'ouvrage, des notions et des philosophes pour qu'on puisse y revenir au gré de ses envies et besoins. Une façon ludique de faire de la philosophie à ne pas manquer!
L'un est un ancien activiste politique accusé du meurtre vengeur de son ancien délateur, l'autre est magistrat, entre les deux se tisse un dialogue d'une rare finesse, doublé d'une partie épistolaire : le dernier Erri de Luca est un formidable petit livre. D'une rare intensité, il brasse les thèmes chers à l'auteur : engagement politique, l'Etat, l'individu, la loi, la société, l'amour, la nature et la culture, l'alpinisme.... Et nous emporte dans une réflexion de philosophie politique et existentielle à la fois dense et légère, rappelant en contrepoint "le poids du papillon" que
j'ai également adoré. En plus, un réel suspense tend le texte et aiguise l'appétit du lecteur efficacement.
p129 "C'est le parfait objectif du pouvoir, arriver au plus haut degré d'incompétence et décider de tout. Je vois la société comme une construction faite de matériaux de plus en plus mauvais au fur et à mesure qu'elle progresse vers le haut. Vous vous comportez comme si vous saviez de quoi il retourne. Mais c'est une fiction, la votre et celle de la fonction que vous occupez.
- Vous avez beau vous conviancre qu'il s'agit d'une fiction, pour moi, c'est bien la fonction que l'Etat m'assigne.
-Mettez-le sur un autel pour en faire une idole. Il vous ofre un salaire et vous paiera une bonne retraite. Je reste laic face à l'Etat, je ne partage pas ses liturgies.
-Vous dites que je suis un idolatre de l'Etat. Je me définis au contraire comme un idéaliste. Je crois dans l'Etat et ses institutions. Je suis un fonctionnaire, pas le pretre d'un culte.Mais c'est amusant que vous inversiez les roles : vous, l'idéaliste d'une révolution ratée, vous vous affichez comme un cynique réaliste." Cet extrait est représentatif de l'ensemble du dialogue qui est de haute volée...Le dernier de Luca est une réussite à coté de laquelle il serait dommage de passer....
Pierre Dardot et Christian Laval nous offrent ici une impressionnante encyclopédie de la domination étatique. Enquete philosophique, historique, juridique et politique, analyse de la généalogie de l'idée de souveraineté, ce livre érudit et complet fera date dans le paysage intellectuel français. Souveraineté signifie (...) la domination exercée, à l'intérieur d'un territoire donné, par une puissance étatique sur la société et sur chacun de ses membres" p 17 -autrement dit, est souverain celui qui s'autoproclame au dessus des lois-mais tout l'ouvrage pointe l'équivocité du terme, dissipant nombre d'illusions... L'Etat est une construction historique : comment cette construction tient -elle à travers les siècles? On croise A.Testart, J.C.Scott, P.Legendre, M.Foucault, M.VVeber, Aristote, Montesquieu, Marx et Hegel, E.Kantorivvicz, Saint-Simon, Carl Schmitt mais aussi nombre d'analystes de l'Etat et de l'histoire du droit moins connus....Les sources sont foisonnantes et toujours finement examinées. Dense, argumenté, riche, cet essai est sans doute déjà un classique...
Après le très remarqué "Utopies Réalistes", Bregman revient, dans une veine anthropologique, historique et philosophique très intéressante. "Humanité" est un essai foisonnant qui cite Scott, Graeber, Diamond, puise à de multiples sources pour nous livrer nombre d'anecdotes historiques à titre d'exemples dans une démonstration pleine de punch qui prend résolument le parti de Rousseau contre Hobbes, s'appuyant également sur les données de l'anthropologie et de l'archéologie les plus récentes. On ne s'ennuie jamais dans ce livre qui apporte, mine de rien, des raisons d'espérer et de se réjouir d'appartenir au genre humain, ce qui en ces temps anxiogènes n'est pas anodin. P122 "avec les premières colonies de peuplement et l'invention de la propriété privée, s'ouvrit une nouvelle ère dans l'histoire de l'humanité. Les 1% se mirent à opprimer les 99% restants. Les baratineurs passèrent de meneur à général, de chef de tribu à roi. Le temps de la liberté, de l'égalité et de la fraternité était terminé.(...)Le philosophe (Rousseau) pensait que les choses avaient justement commencé à aller de travers lorsque nous nous étions sédentarisés, ce que confirment aujourd'hui les archéologues. Il considérait l'invention de l'agriculture comme un immense fiasco, et là aussi, cette thèse est désormais abondamment étayée par des preuves scientifiques. Les anthropologues ont par exemple découvert que les chasseurs-cueilleurs menaient une vie relativement détendue (...) il leur restait plein de temps pour jouer et se reposer, socialiser et faire l'amour.(...) Ce sont surtout les femmes qui ont payé un lourd tribut à la sédentarisation.(...) Au cours des siècles les filles en âge de se marier sont devenues des biens interchangeables au même titre que les vaches et les moutons.(...) Le patriarcat était né". Cerise sur le gâteau, tout cela donne envie de (re)lire le "Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes" de J.J. Rousseau auquel il se réfère abondamment!
Les plus fines plumes et les esprits les plus sagaces du moment sont ici rassemblés pour nous offrir un passionnant tour d'horizon de l'actualité. c'est précieux par les temps qui courent car, d'après Razmig Keucheyan "nous assistons peut-être à la première crise mondiale de la "seconde contradiction" -après celle entre le capital et le travail, il y a celle entre le capital et la nature. Elle préfigure aussi la crise environnementale proprement dite." Ne se contentant pas du constat qu'il faut "sortir du néolibéralisme", cette superbe revue nous offre diverses pistes sur le "Comment faire". On y retrouve M.Foessel, P.Zaoui, M.Revault d'Alonnes, B.Lahire, P.Dardot, M.Delmas-Marty,E.Coccia..etc.Et, cerise sur le gâteau, une série de poèmes de Laura Vasquez concluent l'ouvrage. Merci aux éditions du Seuil pour ce beau travail.
"On dit : "Sois un homme." On ne dit jamais : "Sois une femme."" (p155)
Un livre plein d'humour et d'intelligence, qui pique comme un bonbon acide, sur la condition féminine pré-metoo. Comment penser sa propre libération quand les mots memes sont entachés de préjugés, de clichés? Camille Laurens nous offre un très beau portrait de femme aux accents tragiques tout autant que drolatiques, écrit dans un style singulier, sans détour : à ne pas manquer....