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En me permettant de paraphraser l’auteur : quel œuf nous a donc pondu cet oiseau noir, cette "poule" aux oeufs d’or de la littérature française ( enfin belge), " l’une des rarissimes privilégiées à pouvoir vivre de" sa "plume" ?
Sans nul doute ( mais je suis une grande fan du monde magique et d’apparence si facile d’Amélie), un très beau roman " vinaigre et miel".
Comme dans tous les métiers, les prétendants au succès sont nombreux. Mais ceux qui y excellent ont ce grain de folie, cette passion créative qui les rendent uniques et bénis des Dieux.
" on devient écrivain
à cause de toi, sans se rendre compte que personne ne dispose de ton combustible."
Et ce combustible n’est pas seulement cet or liquide qu’elle consomme en toute occasion. Certes, " le champagne a le talent de me réconforter. Et même quand je ne sais pas de quoi j’ai besoin d’être réconfortée, le breuvage le sait, lui."
Non, le moteur est la folie, le goût du risque, la mise en danger annuelle, " exaltation suprême, cette dilatation extatique du sentiment d’exister."
Bien évidemment, comme chaque année, les critiques vont fuser envers cette privilégiée " née dans une ambassade, autant dire dans le champagne", ce personnage au teint neigeux, yeux charbonneux, lèvres carmin en redingote et chapeau Diabolo.
" Mieux vaut recevoir des insultes que d’être ignorée." Cela n’est toutefois sans dommage pour personne.
Mais tant qu’elle sait conter aussi naturellement de belles histoires, avec ici, une bonne dose d’humour et d’auto-dérision, je continuerai à lire ces courts romans annuels.
Ce roman sur la difficulté de la création littéraire, sur les traversées du désert des auteurs qui ne sont pas aidés par leurs origines est d’une belle humilité (certains parleront de narcissisme). Contrairement à Pessoa, Amélie Nothomb dit qu'"écrire augmente ma fièvre de ressentir", cette fièvre est communicative car j’ai ressenti cette belle amitié entre la narratrice et Pétronille. J’ai vraiment aimé ces deux personnages si différents et pourtant si proches. J’ai découvert, une fois de plus, la tendresse particulière de l’auteur envers ses lecteurs. Son apparence n’est pas comme pour certains "un bloc de mépris" mais bien une façon d’être, "sans attraper les vilaines manières de gens de lettres."
Après deux romans privilégiant les personnages masculins, Kaoutar Harchi donne ici la voix à une femme. Toujours fidèle aux problématiques de son pays d’origine, elle s’est nourrie des combats, des blessures et des sourires des femmes pour construire un roman de souffrance mais aussi d’espoir.
La narratrice est née dans la maison des femmes, cette bâtisse aux chambres sans fenêtres qui enferment simplement par leur soumission des femmes jugées fautives par leur mari ou leur famille. Elle vit sa jeunesse et son adolescence auprès d’une mère bafouée mais toujours amoureuse du
Père, sans jamais recevoir la tendresse espérée d’une femme qui est une mère pour toutes les autres sauf pour sa fille.
Des conversations, des carnets intimes, elle reconstruit toutefois l’ombre de ce Père " qui avait fait de notre quotidien une succession d’instants suspendus."
Et l’on écoute les voix de ces femmes en une seule prière de soumission à l’homme idolâtré et souverain dans cette " maison des délits du corps où l’on ne châtie ni ne violente mais rééduque".
Puis, orpheline de tendresse, la jeune fille ne peut que remonter à la source du malheur pour comprendre ou tenter de trouver cet amour idolâtré, cette famille mondaine qui les a rejetées par jalousie, pour provoquer à travers elle le retour de l’homme vers la femme châtiée qui n’a cessé d’attendre.
Des phrases courtes parfois tronquées donnent une respiration haletante à ce récit. L’auteur nous transporte parfois dans une irréalité volontaire, transformant l’histoire en un mythe qui montre que ce pays n’est pas réduit à la réalité avec " les soldats qui combattent et les femmes qui se sacrifient" mais peut aussi espérer la force et la beauté d’une scène d’amour entre un père et sa fille.
Kaoutar Harchi, très jeune romancière, a le style et l’univers d’une tragédienne.
Nice- Saint Pétersbourg
" Notre existence est façonnée par ce que nous avons vécu, par les évènements qui nous ont portés, construits ou défaits à jamais."
Un même train entre Nice et Saint Pétersbourg en sens inverse, deux histoires de femmes russes à 130 ans d’intervalle en quête d’amour.
Anna Alexandrovna est une jeune aristocrate russe, rejetée par sa mère trop occupée par les mondanités. Laide et désagréable, elle ne trouve de chaleur qu’auprès des chevaux. C’est d’ailleurs un succès équestre qui lui vaut un compliment du beau Dimitri, cadet du tsar. En mars 1881, dans ce train qui l’emmène de Nice en Russie avec sa famille et ses serviteurs, elle ne rêve que de revoir Dimitri.
En 2012, Irina fait le chemin inverse. Elle quitte la Russie pour rejoindre Enzo à Nice. Elle ne le connaît pas mais correspond avec lui sur Internet par le biais d’un site de rencontre. Séparée d’un ancien amoureux devenu violent, d’origine modeste, elle n’a pas d’autre solution pour changer de vie.
C’est toujours un grand plaisir de lire Gaëlle Josse. Le style est aérien, les personnages sont touchants quelque soit leur nature. L’alternance des deux histoires donne un rythme et une variété à la lecture et l’auteur nous éclaire en fin de récit sur le lien entre les deux histoires. J’ai beaucoup apprécié les réflexions sur le sentiment amoureux très rarement partagé. Tous ces gens qui ne peuvent aimer ou être aimés à cause de leur physique, des horreurs qu’ils ont vécues, ne peuvent-ils plus générer que le mal. Les rêves et les besoins d’amour entraînent les personnages vers des limites et des excès parfois préjudiciables à l’entourage.
Si j’ai une fois de plus été séduite par la plume, le fait d’imbriquer deux histoires me laisse une impression de moins grande maîtrise de la profondeur de l’intrigue. Mais, l’auteur parvient sans difficulté à me faire partager le destin des personnages et à sentir toute leurs nuances et leur fragilité.
" Il me reste désormais chaque jour de ma vie, dans son couchant, pour me souvenir que nous poursuivons en vain un horizon qui se dérobe, et que nos songes ne sont que des châteaux de sable, inlassablement détruits par la mer et par le vent."