Telluria, de Vladimir Sorokine. Farouche opposant au régime russe actuel, il publie des ouvrages affrontant les questions du totalitarisme. Ecrivain contestataire, qui revisite l'histoire de la Russie de manière cynique, acerbe et critique.
Nous sommes là face à un ovni futuro-médiéval, une dystopie parfaitement déjantée. Un roman bouffon et ténébreux.
L'Europe a implosé suite à une guerre contre les wahhabites et les talibans. Bon. Qui y ont installé un régime totalitaire avant d'être chassé de nouveau. Admettons.
La configuration du monde telle qu'on la connait s'est
dissoute. Micro-états et petites républiques ont remplacé les grandes nations. Baignés dans un moyen-âge, comme le dit l'auteur, "éclairé et béni. L'alcool de pomme de terre a remplacé le pétrole, les chevaliers en armure côtoient les robots,...
"Nous n'avons pas à assumer le karma d'autrui, fût-ce en quelque détail, poursuivit le chef de brigade, surtout actuellement, dans le monde renouvelé d'après-guerre. Voyez notre continent eurasiatique : après l'effondrement des utopies idéologiques, géopolitiques et technologiques, il baigne enfin dans un Moyen-âge éclairé et béni. Le monde a repris taille humaine. Les nations ont pris possession d'elles-mêmes. L'homme a cessé d'être une somme de technologies. La production de masse vit ses dernières années. Il n'est pas deux clous semblables parmi ceux que nous enfonçons dans les têtes de l'humanité. Les hommes ont retrouvé le sens des choses, ils mangent une nourriture saine, se sont remis à circuler à cheval. Le génie génétique les aide à prendre la véritable mesure d'eux-mêmes. L'homme a de nouveau la foi dans la transcendance. Il a retrouvé la notion du temps. Nous ne nous hâtons plus nulle part. Mieux : nous comprenons qu'il ne peut exister sur terre de paradis technologique. Ni de paradis tout court. La terre nous est donnée comme un îlot semé d'obstacles à surmonter. Chacun choisit ce qu'il doit vaincre et comment. Seul !"
Une cinquantaine de chapitres avec autant de personnages, de situations et de lieux différents (seuls une paire de chapitres se fait écho). Chacun écrit dans un style différent (on passe de l'écriture médiévale façon Chrétien de Troyes, au conte, en passant par des narrations en langue prolo-argotique, un peu de théâtre aussi,...).
Pas véritablement d'histoire donc. Un kaléidoscope de scènes et de moments qui permettent de définir un univers, un environnement, une socio-politique. Des confettis qui mis bout à bout créent une grande carte.
Tout au long de ces tableaux, son convoqués : géants, nains, centaures, et autres créatures improbables...
Le Tellure (la drogue ultime qui permet de réaliser ses rêves, de revivre des moments vécus, de se farcir d'incroyables hallucinations : d'accéder au Bonheur!) sert de lien entre ces chapitres éparpillés (il est drôle de noter que la fabrication et la vente du Telluria est l'exclusivité d'un micro-état Telluria, dirigé par un président français).
En fond, se dessine une peinture du peuple russe et de sa longue histoire, une vision critique, cynique et peu aimable. Sorokine n'aime rien tant que jeter un regard séditieux sur son peuple et son pays.
Une lecture comme une expérience extravagante et déroutante. On a l'impression de suivre la procession d'un carnaval grotesque. Une fois regroupés, les éléments disparates du roman donnent vie à un univers tout fait incroyable. Et sinistre, bien sûr. Car c'est bien de nos peurs, de notre futur que cherche à s'emparer Sorokine.
"L'homo sapiens évolue [...] Les substances qui l'aident à survivre ici-bas évoluent aussi. Sphères, cubes, pyramides, cylindres, cônes, cônes tronqués, torus, spirales sont autant de produits des temps modernes et des nouvelles technologies. A une époque ils nous semblaient extraordinaires. De nombreux usagers répétaient la même chose, leurs voix se fondaient en un choeur carillonnant : c'est le summum de la perfection, que peut-on vouloir de mieux, nous sommes sa-tis-faits ! Il en fut ainsi pendant près de vingt ans. Jusqu'à la découverte du divin tellure."
Telluria
Telluria, de Vladimir Sorokine. Farouche opposant au régime russe actuel, il publie des ouvrages affrontant les questions du totalitarisme. Ecrivain contestataire, qui revisite l'histoire de la Russie de manière cynique, acerbe et critique.
Nous sommes là face à un ovni futuro-médiéval, une dystopie parfaitement déjantée. Un roman bouffon et ténébreux.
L'Europe a implosé suite à une guerre contre les wahhabites et les talibans. Bon. Qui y ont installé un régime totalitaire avant d'être chassé de nouveau. Admettons.
La configuration du monde telle qu'on la connait s'est dissoute. Micro-états et petites républiques ont remplacé les grandes nations. Baignés dans un moyen-âge, comme le dit l'auteur, "éclairé et béni. L'alcool de pomme de terre a remplacé le pétrole, les chevaliers en armure côtoient les robots,...
"Nous n'avons pas à assumer le karma d'autrui, fût-ce en quelque détail, poursuivit le chef de brigade, surtout actuellement, dans le monde renouvelé d'après-guerre. Voyez notre continent eurasiatique : après l'effondrement des utopies idéologiques, géopolitiques et technologiques, il baigne enfin dans un Moyen-âge éclairé et béni. Le monde a repris taille humaine. Les nations ont pris possession d'elles-mêmes. L'homme a cessé d'être une somme de technologies. La production de masse vit ses dernières années. Il n'est pas deux clous semblables parmi ceux que nous enfonçons dans les têtes de l'humanité. Les hommes ont retrouvé le sens des choses, ils mangent une nourriture saine, se sont remis à circuler à cheval. Le génie génétique les aide à prendre la véritable mesure d'eux-mêmes. L'homme a de nouveau la foi dans la transcendance. Il a retrouvé la notion du temps. Nous ne nous hâtons plus nulle part. Mieux : nous comprenons qu'il ne peut exister sur terre de paradis technologique. Ni de paradis tout court. La terre nous est donnée comme un îlot semé d'obstacles à surmonter. Chacun choisit ce qu'il doit vaincre et comment. Seul !"
Une cinquantaine de chapitres avec autant de personnages, de situations et de lieux différents (seuls une paire de chapitres se fait écho). Chacun écrit dans un style différent (on passe de l'écriture médiévale façon Chrétien de Troyes, au conte, en passant par des narrations en langue prolo-argotique, un peu de théâtre aussi,...).
Pas véritablement d'histoire donc. Un kaléidoscope de scènes et de moments qui permettent de définir un univers, un environnement, une socio-politique. Des confettis qui mis bout à bout créent une grande carte.
Tout au long de ces tableaux, son convoqués : géants, nains, centaures, et autres créatures improbables...
Le Tellure (la drogue ultime qui permet de réaliser ses rêves, de revivre des moments vécus, de se farcir d'incroyables hallucinations : d'accéder au Bonheur!) sert de lien entre ces chapitres éparpillés (il est drôle de noter que la fabrication et la vente du Telluria est l'exclusivité d'un micro-état Telluria, dirigé par un président français).
En fond, se dessine une peinture du peuple russe et de sa longue histoire, une vision critique, cynique et peu aimable. Sorokine n'aime rien tant que jeter un regard séditieux sur son peuple et son pays.
Une lecture comme une expérience extravagante et déroutante. On a l'impression de suivre la procession d'un carnaval grotesque. Une fois regroupés, les éléments disparates du roman donnent vie à un univers tout fait incroyable. Et sinistre, bien sûr. Car c'est bien de nos peurs, de notre futur que cherche à s'emparer Sorokine.
"L'homo sapiens évolue [...] Les substances qui l'aident à survivre ici-bas évoluent aussi. Sphères, cubes, pyramides, cylindres, cônes, cônes tronqués, torus, spirales sont autant de produits des temps modernes et des nouvelles technologies. A une époque ils nous semblaient extraordinaires. De nombreux usagers répétaient la même chose, leurs voix se fondaient en un choeur carillonnant : c'est le summum de la perfection, que peut-on vouloir de mieux, nous sommes sa-tis-faits ! Il en fut ainsi pendant près de vingt ans. Jusqu'à la découverte du divin tellure."