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À découvrir
Loin de tous les clichés dont on nous rebat les oreilles aujourd'hui concernant le caractère prophétique de ce roman, je pense en l'occurrence qu'il est non seulement utile, mais surprenant de revenir à la source...
Au delà d'une sorte de vision du totalitarisme qui adviendrait quelque temps après la seconde guerre mondiale, Orwell nous emmène dans une espèce de fable philosophique sur l'aliénation de l'homme par lui-même, et de la suprématie du social sur l'individuel.
Sa réflexion sur le totalitarisme, non exempte de référence à la pensée marxiste, est judicieuse, et ses visions
sur l'avenir aussi optimistes (c'est un euphémisme) que celles, entre autres, beaucoup plus théoriques de Hannah Harrendt.
Ceci dit, cette lecture n'est spécialement ni gaie, ni joyeuse, et l'époque où l'ouvrage a été produit ne permettait légitimement pas encore de percevoir les dégâts pratiques du tout-numérique d'aujourd'hui, et de la puissance destructrice qu'il nous donne à voir concrètement du virtuel sur le réel.
Mais quand Josée Kamoun entreprend de retraduire les concepts-clés du livre – ceux qui sont entrés dans la langue commune, et que des millions de lecteurs se sont appropriés –, il lui arrive de passer à côté et d’obscurcir lourdement la pensée du roman.
L’échec est flagrant avec la « Police de la pensée » (Thought Police) devenu la « Mentopolice » pour des raisons purement esthétiques : « “Thought Police” est une expression très compacte, déclare la traductrice ; “Police de la pensée” était trop souple ». Soit. Mais que vient faire ici le mental ?
(Sous réserve que, chez le lecteur qui découvrirait 1984 dans cette traduction, « mento- » n’appelle pas « mentir » plutôt que « mental », lui faisant interpréter « mentopolice » comme la « police du mensonge » ! La confusion serait totale. Or il n’y a aucune indication pour l’en détourner.) La police en question ne traque pas le mental, encore moins les mentalités ou le psychisme. Elle traque des pensées, celles qui sont non conformes : par exemple, « que l’Océanie n’a pas toujours été en guerre avec l’Eurasie », « que à telle date l’ex-dirigeant Rutherford était à Londres et non à l’étranger », « que deux et deux font quatre ». Ces pensées criminelles sont des crimes-de-pensée (thoughtcrimes). Pas du tout des « mentocrimes » (comme les rebaptise la traduction), des crimes mentaux, psychiques, subjectifs.
Inspiré du régime totalitaire stalinien à la fin des années quarante, 1984 est un roman d'anticipation. C'est un condensé des différentes méthodes qui existent pour cadenasser la pensée, mise en place à la perfection : la peur constante de la délation, la falsification des faits historiques, l'appauvrissement de la langue pour rendre impossible la formulation de certaines pensées, la création d'un ennemi commun à haïr ...
Un livre vraiment marquant, et que je ne suis pas prêt d'oublier.
Un petit air de déjà vu ...
J'aimerais juste souligner que 1984 s'inspire d'un ouvrage de l'écrivain russe Ievgueni Zamiatine: Nous autres . Il emprunte aussi énormément à La Kallocaïne,de la Suédoise Karin Boye, publié en 1940,ayant comme trame le problème de la confiance et de la trahison des proches dans un régime totalitaire.