Mais quand Josée Kamoun entreprend de retraduire les concepts-clés du livre – ceux qui sont entrés dans la langue commune, et que des millions de lecteurs se sont appropriés –, il lui arrive de passer à côté et d’obscurcir lourdement la pensée du roman.
L’échec est flagrant avec la « Police de la pensée » (Thought Police) devenu la « Mentopolice » pour des raisons purement esthétiques : « “Thought Police” est une expression très compacte, déclare la traductrice ; “Police de la pensée” était trop souple ». Soit. Mais que vient faire ici le mental ?
(Sous réserve que, chez le lecteur qui découvrirait 1984 dans cette traduction, « mento- » n’appelle pas « mentir » plutôt que « mental », lui faisant interpréter « mentopolice » comme la « police du mensonge » ! La confusion serait totale. Or il n’y a aucune indication pour l’en détourner.) La police en question ne traque pas le mental, encore moins les mentalités ou le psychisme. Elle traque des pensées, celles qui sont non conformes : par exemple, « que l’Océanie n’a pas toujours été en guerre avec l’Eurasie », « que à telle date l’ex-dirigeant Rutherford était à Londres et non à l’étranger », « que deux et deux font quatre ». Ces pensées criminelles sont des crimes-de-pensée (thoughtcrimes). Pas du tout des « mentocrimes » (comme les rebaptise la traduction), des crimes mentaux, psychiques, subjectifs.
Un petit air de déjà vu ...
J'aimerais juste souligner que 1984 s'inspire d'un ouvrage de l'écrivain russe Ievgueni Zamiatine: Nous autres . Il emprunte aussi énormément à La Kallocaïne,de la Suédoise Karin Boye, publié en 1940,ayant comme trame le problème de la confiance et de la trahison des proches dans un régime totalitaire.