Je remercie Emmanuel Carrère d'avoir su, comme à son habitude, s'insérer dans cette vie. Il me semble que je n'aurais pas supporter un récit linéaire de la vie de Limonov, qui est certes un personnage hors norme et a une vie très riche en évènements mais il m'aurait facilement insupportée par son caractère morbide et extrémiste.
Alors que l'enthousiasme de l'auteur, ses réflexions personnelles et sa grande culture de la Russie font de ce roman un récit passionnant des années 40 à nos jours.
Edouard Savenko devient "Ed Limonov -hommage à son humeur acide et belliqueuse, car
limon signifie citron et limonka grenade- celle qui se dégoupille." Très jeune, Edouard est attiré par les voyous, la mort plus tard ce sera la décadence, la guerre. Il a connu tous les extrêmes, vécu dans la rue, dans les plus belles maisons, dans les tentes, les hôtels sordides, les prisons. L'amour est pour lui une opportunité comme avec Anna ou Jenny, un besoin de se sentir aimé comme avec les noirs des parcs, puis la volonté de posséder les plus belles et les plus jeunes. Son engagement pour Natacha est même touchant .
" C'est ma femme. Je prends soin d'elle depuis sept ans, je ne vais pas arrêter maintenant."
Mais lorsqu'elles le quittaient, il sombrait.
" Plusieurs fois, il s'est retrouvé à terre, vraiment désespéré, vraiment privé de recours et, c'est un trait que j'admire chez lu, il s'est toujours relevé, toujours remis en marche, toujours reconforté avec l'idée que quand on choisit une vie d'aventurier, être perdu comme ça, totalement seul, au bout du rouleau, c'est simplement le prix à payer."
Même si Emmanuel Carrère ne se sent pas de point commun avec Limonov, quelque part, il l'admire et ne veut pas en faire un perdant. Il rejette particulièrement son engagement en Serbie mais nous explique que cette fascination pour la guerre se retrouve ensuite dans cette sensibilité pour les prisonniers de Lefortovo, Saratov ou Engels où il sera incarcéré.
" En deux heures à la guerre, pense-t-il, on en apprend plus sur la vie des hommes qu'en quatre décennies de paix."
Grâce à son style très narratif, Emmanuel Carrère a éclairci en mon esprit beaucoup de choses sur les Etats russes, leurs dirigeants, les oligarques, certaines personnalités françaises, sur la personnalité de Poutine. Le mélange de récits personnels, d'anecdotes, de portraits, de la vie de Limonov et surtout de l'histoire de la Russie constitue un roman passionnant et éclairant.
Un très bon roman d'aventures
J’avoue, c’est mal, j’avais de très grosses réserves à propos de Limonov avant même de l’avoir lu. J’aime pourtant bien Emmanuel Carrère, j’apprécie son écriture. Cependant, il me semblait un peu qu’il tournait en rond depuis quelques livres, se complaisant dans ce qu’il savait faire : raconter la vie des autres en réfléchissant par bribes sur sa propre vie. Or, il n’y a rien de plus agaçant selon moi qu’un écrivain qui bégaie, qui se répète dans son style même de façon brillante sans prendre de risques : la machine est bien huilée certes, mais tout cela ronronne un peu trop confortablement à mes oreilles. L’Adversaire, D’autres vies que la mienne, Un roman russe, Limonov : tous les romans de l’écrivain fonctionnent selon le même schéma narratif depuis 10 ans !
Et voilà que je sors de ma lecture globalement séduit ! Pourquoi ?
Déjà parce que la matière première du récit est passionnante. Edouard Limonov est un looser magnifique ayant vécu mille vies, avec une destinée romanesque en diable : Emmanuel Carrère sait qu’il peut captiver le lecteur avec cette histoire incroyable car chaque moment de la vie de l’écrivain russe est du pain béni pour la fiction ! D’ailleurs, le livre peut se lire comme un roman d’aventures à la Alexandre Dumas –la référence est d’ailleurs souvent citée au fil des pages.
Ensuite, parce qu’Emmanuel Carrère adopte une perspective historique assez neuve pour lui et particulièrement intéressante. Excepté certains passages, les moins réussis d’ailleurs du roman il me semble, il ne s’agit plus pour l’écrivain de se confier sur sa propre vie comme il pouvait le faire avant mais de raconter les évolutions que connaît la Russie depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Enfin, parce que l’écriture est belle et simple, limpide. Carrère nous montre une fois de plus ses talents de conteur ; il réussit à merveille l’entrelacement entre les deux histoires : la trajectoire intimiste et fascinante de l’écrivain russe au sein de la grande histoire de la Russie de la deuxième moitié du XXe siècle, riche en rebondissements.