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Premier temps. Dans un cimetière de Port-au-Prince, le narrateur, Carl Vausier, rencontre Valencia, une très jeune prostituée portant son bébé dans les bras, se vendant aux hommes au milieu des tombes. Carl vient de rompre avec son ex-femme Rosia. Dans le cimetière, il ressent une étrange attraction pour Valencia, qui n'est ni amoureuse ni sexuelle, et veut la sortir de sa situation sordide, chemin qui se révélera périlleux pour lui.
Deuxième temps. Quelques mois auparavant. Carl se fait voler le médaillon qu'il porte autour du cou, médaillon que son propre père a porté sa vie durant et auquel Carl tient plus que tout. Avec un ami d'enfance, Doudou, devenu un tueur sans pitié, il va récupérer l'objet. Sauf que, cette fois, avec l'arme que lui a donnée Doudou - heureux que son ami trop propre pour lui passe la frontière du sang -, Carl tue Guerrier, le jeune voleur.
Troisième temps. Quelques décennies plus tôt. Jeune étudiant en agronomie, Carl effectue un stage d'immersion à la campagne chez un couple de paysans. Bénito, protestant fervent, martyrise sa femme parce qu'elle ne peut avoir d'enfant. Voyant la présence de Carl Vausier comme un signe du ciel, Mme Bénito se donne à lui contre la promesse qu'il fera tout pour lui permettre de partir. De retour chez lui, Carl, terrorisé par le paysan, ne tient pas sa parole.
Grâce à une maîtrise parfaite des rouages romanesques, Gary Victor va tisser ces trois trames pour faire surgir un final inattendu. Les vives tensions de la société haïtienne n'épargneront aucun personnage et Carl se verra tour à tour instrument et victime de cette cruauté qui exercera une bien étrange fascination sur le lecteur. Né à Port-au-Prince, Gary Victor, journaliste, dramaturge, est l'écrivain le plus lu dans son pays.
Il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages dont Maudite éducation (2012) et L'escalier de mes désillusions (2014), tous deux chez Philippe Rey.
RECOMMANDÉ PAR CULTURE-CHRONIQUE
Beaucoup diront qu’Haïti est un pays maudit, un pays qui conjugue toutes les tragédies simultanément, misère, corruption, crimes organisés, catastrophes naturelles… Et pourtant les gens vivent à Haïti comme partout ailleurs, des existences souvent difficiles où chacun cherche à conserver sa dignité malgré des circonstances qui peuvent tourner à l’épouvantable. Gary Victor écrit sur Haïti depuis une quinzaine d’années, journaliste, dramaturge et écrivain, il a su mettre des mots sur la souffrance d’un peuple meurtri à travers une série de textes luxuriants et profonds, terribles et vertigineux. “Les temps de la cruauté” est à ce titre le remarquable prolongement d’une oeuvre qui n’en finit pas de surprendre.
Valencia, l’héroïne de ce roman travaille dans un cimetière de Port au Prince où elle se prostitue pour quelques pièces, posant son bébé près d’elle tandis qu’elle vend son corps à des hommes de passage. On saisit évidemment immédiatement la métaphore de la nécropole, celle d’un monde mort où l’amour s’achète à vil prix et où le code des valeurs est totalement inversé. Quand Carl Vausier découvre l’existence de la jeune femme alors qu’il se remet à peine d’une douloureuse rupture, il se prend d’une authentique tendresse pour Valencia. Il ne s’agit pas d’amour, ni d’une attirance sexuelle au départ mais plutôt d’une attraction où se joue la rédemption de Vausier.
A travers un récit écrasé par la touffeur haïtienne, Gary Victor peint la rencontre entre Carl et Valencia sur fond de malheur ordinaire. Il y a quelque chose de “Sous le volcan” de Malcolm Lowry dans ce roman où le salut des personnages semble constamment s’éloigner tandis qu’ils luttent pour ne pas être damné. Vouloir le bien d’un être perdu n’est pas forcément un gage de succès à Haïti car le cadran des vertus se confond souvent avec celui des vices.
“Les temps de la cruauté” est une oeuvre forte d’où se dégage une atmosphère étrange portée par une écriture puissante. A découvrir absolument.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)