Infatigable voyageur de l’extrême, l’auteur accompagne le photographe animalier Vincent Munier dans une expédition au Tibet, dans l’espoir d’apercevoir l’une des dernières panthères des neiges.
La narration livre de magnifiques pages sur l’un des espaces encore préservés de la planète, en grande partie en raison de son inaccessibilité et de ses âpres conditions climatiques. Par des températures oscillant entre -20 et -30°C, au coeur de montagnes à première vue désertes offrant des paysages aussi rudes que somptueux, l’équipe d'observateurs doit déployer toutes
ses ressources physiques et des trésors de patience, pour guetter indéfiniment, et peut-être vainement, l’apparition de la rarissime reine du camouflage. En attendant, affût après affût, la faune sauvage locale se dévoile peu à peu, poursuivant son cycle perpétuel de vie et de mort sur un territoire en peau de chagrin, de plus en plus menacé par l’activité humaine.
Un désenchantement plein d’auto-dérision imprègne le texte, face à la certitude d’observer un monde sauvage en sursis, décimé par l’irresponsable avidité des hommes, au nom d’un progrès au final sur bien des plans contestable. Empruntant à de nombreuses références tant occidentales qu’orientales, l’auteur nous livre, sur un ton caustique, une réflexion philosophique et spirituelle qui fait si souvent mouche que j’en conserve une collection d’aphorismes record pour une seule lecture.
Ce superbe récit d’aventure, qui fait autant rêver que méditer, frappe à chaque phrase, inoculant l’envie de prendre à son tour le temps d’ouvrir les yeux. Il m’a incitée à aller découvrir avec émerveillement les clichés de Vincent Munier, dont on sait plus ce qui impressionne le plus : la beauté des sujets ou la technique et la patience qu’il aura fallu pour la capturer. Coup de coeur.
L’affût, retrouver la patience d’observer le monde
Sylvain Tesson, c’est un style, c’est une voix familière, légendaire, enveloppante qu’on entend en lisant ce livre. Depuis sa terrible chute qui a bien failli lui coûter la vie, il s’est assagi mais il reste fidèle à lui-même et continue de vouloir absolument réaliser ses rêves, et de nous en faire profiter.
Cet homme pressé, fuyant le « désespoir de l’espérance », a donc dû attendre et se taire à – 30°C. Son ami photographe, Vincent Munier, l’a initié à l’art de l’affût. Un art indispensable si l’on souhaite pouvoir un jour observer la panthère des neiges, retranchée sur les plateaux du Tibet à plus de 5 000 mètres d’altitude. Dans ce froid glacial, lentement, à l’image de son ascension, Sylvain Tesson nous fait découvrir ces contrées lointaines, encore peu abîmées par l’impérialisme chinois (pour combien de temps encore ?). Il nous dit « j’avais appris que la patience est une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre à le transformer».
La lecture de ce livre nous questionne sur ce que nous avons fait de ce monde sauvage d’une grande beauté. Partout, l’Humanité ne sait que provoquer des extinctions massives de la flore et de la faune.