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À découvrir
« Il s’en moque, il fait beau et il a le temps – tout s’écroule. »
« Il ne craint plus les retards et les détours, il a compris que la route qui le menait chez lui est tortueuse ».
Quand le Gris quitte la prison, on pense qu’il quitte le goulag. Tout y ramène, ses coreligionnaires et leurs surnoms, leur hiérarchie. Le ton est donné, on est en union soviétique, entrée en matière par la littérature qu’elle produit. Mais le Gris s’il a su se faire respecter est encore jeune. Pas tout à fait innocent mais jeune, sans doute un peu beau garçon et malin. Ce n’est donc
pas un Candide ou un Barry Lindon comme ici mais sur le chemin qui le ramène chez sa mère, il va faire encore quelques apprentissages. Tout s’écroule et rien ne change alors il va pouvoir se débrouiller, encore apprendre, voir par lui-même, un jour tenter sa chance. Son chemin se fait sur le bord d’un monde et d’un système. L’Urss devient Russie au même moment. Il ne s’en moque pas complètement, il a appris à survivre dans le monde d’avant et en prison. « Sans même réfléchir, il sait ce qu’il doit fuir, comme il l’a fait toute sa vie, évitant ou devançant les ennuis ». Il est le témoin idéal d’un monde qui change en apparence. Il n’est pas loin de l’Europe dans une enclave qui lui ressemble. Un endroit ou se côtoie deux histoires. Parfois la route devient presque une fable, il y a plusieurs manières de dire « libre » en Russe et peut-être lui aussi devra un jour comprendre cette chose : « Rien n’est plus important que de refuser le mensonge ». On retraduit et réédite cette année « l’Archipel du goulag », un mur à toute sympathie pour Poutine et consorts. Lisez Benoît Vitkine, c’est déjà un pas aux frontières culturelles d’un autre monde.
"Même morte, elle exagère un peu..."
C'est à singulier rendez-vous qu'une défunte convoque ex et vieilles connaissances. Eux ne se connaissent pas et au pied de l'arbre où ont été dispersés ses cendres, ils se trouvent un peu bête et pris au dépourvu à parler d'elle. Il ne l'ont pas oublié et pour certains, ils en sont sûrs, dans ce paysage de bord de Loire, elle est un peu partout. Comme une remise à flot du temps qui passe et du temps révolu, un retour à l'amont que toute vie impose parfois. Etienne Davodeau intercale savamment échanges et détails ou bandes larges d'images
d'un Fleuve tout aussi présent que l'absente. Il y a du coup du Gange dans la Loire et du vague à l'âme dans les esprits. Piquer une tête rajeuni quand un apéro laisse divaguer et s'interroger sur cette femme libre qui leur a donné avec son amour ce lieu au bord du temps.
Regarder la nuit
« Le monde s’évanouit, un autre vient de s’ouvrir ».
« Il s’approche de nouveau de la fenêtre, interroge la nuit. »
Deuxième très beau titre avec les « heures silencieuses » ; deux titres qui laissent deviner un rapport particulier entretenu avec le temps. Une citation ajoute au pressentiment que cette lecture nous propose : « Vous savez, les gens ont l’air d’aller bien, mais chacun de nous a sa nuit. » On peut maintenant s’avancer un peu plus : « La nuit entre dans la ville, la ville entre dans la nuit. » … « L’heure de rendre les armes, ou de résister un peu, encore. » C’est presque qu’un théâtre, une scène à guichet fermé. Quelques lumières, une fenêtre éclairée ou un regard au dehors. Il y a parfois un peu d’angoisse à s’y avancer ou à l’écourter. On sort aussi de scène ou on y entre. La nuit semble nous envoyer d’étranges messages ou réveiller quelques fantômes. Ici et là quelques balises lumineuses. Elle n’est pas transparente, elle prête aux songes, à l’introspection. « Trop tard ». « Rester éveiller ». On n’a pas encore tout à fait quitté « la gravité terrestre ». On cherche encore l’autre. On ne peut pas se détacher de la fenêtre. On s’y dénude, on y trouve refuge, on explore toujours son cœur. Quelque chose s’allume ou disparaît et parfois une ombre persiste. Ajouter un mot à celui de nuit et quelque chose est propice aux songes, aux microfictions de nos vies à cheval. Où s’arrête le jour ? Où commence le sommeil ? Ce sont « les heures sentinelles de nos histoires ». Un entre-deux propice à nos vies imparfaites, un moment de rappel à nos amours, à nos sens, vides et absences.