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Lily a dix-sept ans et rêve la nuit du gibet qui l’attend. Elle a commis un meurtre et, assaillie par la culpabilité et l’angoisse, redoute à chaque instant d’être découverte, en même temps qu’elle espère presque le soulagement des aveux. Alors sa courte vie lui revient en flash-back...
Abandonnée à la naissance, en 1850, aux portes d’un parc londonien, Lily est sauvée du froid et des loups par un jeune policier qui la dépose au Foundling Hospital, cet établissement créé par un philanthrope un bon siècle plus tôt pour recueillir les enfants trouvés. Conformément
à la règle de l’institution, le bébé est confié à une nourrice à la campagne, avant de revenir à l’orphelinat six ans plus tard. Brutale et impréparée, la transition est rude entre le cadre aimant et rassurant de cette famille paysanne que Lily avait cru sienne, et la sévérité dépourvue d’humanité des surveillantes, convaincues de devoir mater « des animaux sauvages » nés de « mères dénaturées ».
Aussitôt surnommée « Miss Désobéissance », la fillette devient la cible privilégiée de la plus terrible de ces femmes, Nurse Maud, auteur intouchable de multiples sévices, répétés sa vie durant sur des générations d’enfants jusqu’à ce que parfois mort s’ensuive. Placée à l’adolescence chez une perruquière du demi-monde, Lily reste obsédée par les trois grands marqueurs de son existence : le mystère de sa naissance, l’affection perdue de sa nourrice et la cruauté criminelle de sa tortionnaire. Au point de se rendre coupable du pire, juste au moment où le policier qui la sauva réapparait dans sa vie…
S’inspirant librement de l’histoire du Foundling Hospital pour nous immerger dans l’Angleterre victorienne de Dickens et des soeurs Brontë, Rose Tremain nous propose un récit, fidèle à la tradition romantique, qui fait la part belle à la sensibilité et aux sentiments, au travers d’une héroïne déchirée entre sa conscience et sa volonté de vengeance, entre sa culpabilité et ses espoirs de rédemption, et bien sûr, par les affres d’un amour impossible. Par son abandon, Lily se retrouve coincée dans d’inextricables limbes, comme si pas véritablement née au monde : d’un côté, l’affreuse Nurse Maud, incarnation du Mal absolu, décidée à entraîner au fond de l’enfer cette proie condamnée par un rejet originel ; de l’autre, une mosaïque de personnages tous bons et aimables malgré les duretés de leur quotidien, représentations de ce monde désirable duquel son statut d’enfant abandonnée l’a irrémédiablement chassée. Pour détruire le Mal, Lily devra se compromettre à son tour, se fermant possiblement à jamais le Paradis d’Amour dans lequel elle espérait enfin entrer.
Alors, condamnation ou rédemption, mise au rebut définitive ou nouvelle chance ? Ce sera au lecteur de choisir d’ouvrir ou de fermer la porte laissée entrebâillée à la fin du roman…
Au travers du destin d’un homme sans histoire ni passion, Jean Mattern poursuit son délicat questionnement des apparences, dans une nouvelle exploration des non-dits autour des origines et de la filiation.
« J’ai passé ma vie à éviter les sensations fortes. Question d’éducation. Pas d’alcool, pas de sauts en parachute, pas de voitures de course. Pas d’aventures non plus. Même le sexe m’ennuie parfois. Tout m’ennuie d’ailleurs, je crois. J’attends que ça passe. » Ainsi fait-on, dès l’incipit, la connaissance de Clément Bontemps, anti-héros absolu issu de la bourgeoisie
lyonnaise et menant à Sète une existence réglée comme du papier à musique, entre son épouse Madeleine, son fils Matias et sa pharmacie. Ayant décidé une fois pour toutes d’éviter les vagues et les drames, « gérant sa vie comme un financier ses actions », il traverse le temps comme sous anesthésie, les yeux soigneusement fermés sur tout ce qui pourrait briser la perfection des apparences. Comme la mélancolie de Marguerite lors de leurs épousailles, la naissance prématurée de Matias et leurs si grandes dissemblances, et, de temps à autre, les absences « vitales » de sa femme, « pour aller à l’Opéra de Paris ou ailleurs »...
Mais voilà qu’un coup de téléphone vient soudain égratigner la bulle ouatinée de sa sérénité. Georges Almassy, le professeur de philosophie de Matias, veut lui parler de son fils. « Il craint de vous faire certains… aveux. De vous dire certaines choses, si vous préférez. » En ces années 1980 où, tout juste dépénalisée, l’homosexualité est toujours perçue comme une maladie, l’enseignant multiplie les allusions sans que le père muré dans les convenances ne s’autorise à comprendre. Sa gêne, notre homme l’attribue plutôt à une coïncidence troublante : le nom Almassy le renvoie à ses origines hongroises par sa mère et au silence familial qui les a reléguées dans l’oubli, Mme Bontemps mère s’étant « fondue dans le décor comme une plante verte qui reprend le motif du papier peint sur le mur » pour ne plus jamais évoquer d’autrefois qu’un prénom, József, répété en boucle sur son lit de mort.
Alors, perturbé par le rappel de cette fêlure d’un passé qu’une fois veuf, son père a définitivement bouclé d’un « Chacun emporte sa part de mystère en quittant ce monde », ce n’est pas en songeant à son fils mais à sa mère que le narrateur recontacte l’enseignant. Lui qui aux eaux de la Méditerranée a toujours préféré la sécurité sans surprise de la piscine, va se retrouver plongé dans celles, ensanglantées par l’Histoire, du Danube. Découvrant alors les frappantes répétitions d’un destin familial qui l’aura influencé à son insu, trouvera-t-il la force de briser la carapace et d’enfin s’autoriser à vivre ? S’ouvrira-t-il enfin aux émotions de ses proches, son épouse qui laisse traîner les poèmes de Paul Valéry – « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre » –, et son fils qui se désespère de parvenir à lui parler de qui il est ?
Ciselant son texte en mille détails signifiants, Jean Mattern réussit encore une fois, en un roman aussi bref qu’intense, une brillante auscultation des thèmes qui lui sont chers : les pouvoirs dévastateurs du non-dit, la transmission, et enfin, l’acceptation de soi. Un livre délicat et délicieux.
Coup de coeur
Le 22 février 1680, Catherine Montvoisin, dite la Voisin, est brûlée vive pour son implication dans l’affaire des poisons qui fait alors scandale. Elle aussi soupçonnée, sa fille Marie-Marguerite est incarcérée à la prison de Vincennes. Pour tenter d’échapper à la peine de mort, elle relate, à l’intention de M. de la Reynie, premier lieutenant général de police de Paris, les faits et gestes de sa mère, livrant les secrets de ses activités et la liste de ses clients.
Au départ accoucheuse et guérisseuse, l’ambitieuse et cynique Voisin réalise bien vite que la fortune lui tend les bras, pourvu qu’elle s‘applique, elle qu’aucun scrupule n’étouffe, à adapter sans broncher ses services à la demande. De sage-femme à avorteuse, de pourvoyeuse de remèdes à marchande de philtres d’amour puis, surtout, de poisons, de devineresse à sorcière recourant à des cérémonies sataniques, elle devient si bien providentielle que la voilà bientôt presque victime de son succès, petites gens comme grands de ce monde piétinant sans discontinuer devant chez elle pour acheter à prix d’or poudres et maléfices destinés à résoudre leurs tracas et déboires.
« Dire aux plus grands que leurs pairs et leurs proches me consultent, tandis que je leur cache que ceux-ci viennent me demander de se débarrasser d’eux. Un vrai sac de nœuds ! Il arrive que, dans un seul foyer, on me paie doublement ! » C’est à croire que la France entière a un époux volage à retenir, un rival à éliminer, un ivrogne ou un barbon trop peu empressé de libérer la place. Venus masqués en leurs carrosses, les grands noms de la Cour ne sont pas les moins assidus. Au point qu’après le scandale et le procès qui surviendront, Louis XIV ordonnera, pour ne pas entacher durablement l’éclat de sa Cour, de faire brûler procès-verbaux et rapports de police. Il faut dire qu’il n’y aura pas jusqu’à la célèbre maîtresse royale, Madame de Montespan, à se retrouver impliquée : friande de poudres aphrodisiaques, commanditaire de messes noires comprenant des sacrifices de nourrissons, elle aurait fini par vouloir empoisonner le roi lui-même et sa maîtresse du moment, Marie Angélique de Fontanges. D’ailleurs, en tout, ce sont des milliers d’enfants et de nourrissons qui auraient été éviscérés pour fournir à la Voisin les ingrédients nécessaires à ses potions...
En virtuose des détails historiques les plus truculents, Isabelle Duquesnoy poursuit dans la veine de ses précédents romans L’embaumeur et La Pâqueline, à ceci près qu’ici, aucun personnage n’est fictif. L’on retrouve donc avec plaisir le ton réaliste et insolent, l’humour grinçant et le vocabulaire ancien qui accompagnent une narration terriblement vivante où la réalité historique dépasse de loin la fiction pour nous stupéfier littéralement. Coup de coeur.