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À découvrir
En 1999 alors qu’il avait neuf ans, Javier Zamora quittait le Salvador, seul et clandestin, pour rejoindre ses parents en Californie. Fuyant la guerre civile, son père avait été le premier de la famille, huit ans plus tôt, à immigrer illégalement aux Etats-Unis. Sa mère n’avait pas tardé à le rejoindre, laissant l’enfant à la garde de ses grands-parents. Faute de visa pour leur fils, ils avaient engagé un « coyote », autrement dit un passeur, pour le cornaquer au long des 3000 kilomètres de son périple à travers le Guatemala, le Mexique et le désert du Sonora, là où il
devrait franchir illégalement la frontière vers « las Unitades ».
Prévu pour durer deux semaines, le voyage truffé d’embûches et d’épreuves devait en réalité en prendre huit. Miraculeusement sauf mais durablement traumatisé, il lui faudrait un peu plus de vingt ans pour que, désormais diplômé de Stanford et légalisé résident permanent aux Etats-Unis, devenu activiste en faveur de la cause des migrants, il trouve la force d’affronter ses souvenirs, d’abord dans un recueil de poésie, Unaccompanied, publié en 2017 et salué par la critique, ensuite dans ce premier roman, best-seller du New York Times en 2022, point d’orgue d’une longue thérapie en même temps qu’impressionnante réussite littéraire.
Narré à hauteur d’enfant, sans jamais de commentaire ni de point de vue extérieurs, le récit immerge le lecteur au plus près du vécu, dans une spontanéité sincère et candide qui, quoi qu’il arrive toujours prête à s’émerveiller, fût-ce à propos des poissons volants du Pacifique ou de la variété des cactus dans le désert, considère avec le même naturel aussi bien les mille détails matériels des éprouvantes conditions du voyage que les plus terribles dangers qui le jalonnent. C’est donc bien plus horrifié que lui, l’enfant qui ne comprendra sans doute pleinement que bien plus tard tout ce par quoi il est passé, que l’on voit son premier coyote disparaître dans la nature, les suivants l’abandonner avec d’autres migrants au beau milieu du désert du Sonora, la Migra le refouler deux fois à la frontière des Etats-Unis et plusieurs armes le braquer comme un redoutable criminel.
Aucune analyse ni leçon de morale, aucun pathos ni sensationnalisme donc, mais la seule candeur d’un enfant pour donner chair à la peur, la solitude, le froid, la soif, les jours d'attente sans fin, le manque d’argent et la dépendance à des passeurs douteux auxquels il faut bien se fier, la traque policière et l’inhumanité administrative, l’humiliation et la promiscuité avec les autres migrants, certains prêts à toutes les trahisons pour se sauver, d’autres merveilleux d’entraide et de solidarité, comme Patricia, sa fille Carla et le jeune homme Chino à qui Javier Zamora dédie son livre. Ce sont eux qui, le prenant sous leur aile et se faisant passer pour une famille, lui sauvent probablement la vie et lui permettent de parvenir à destination.
Ce récit dont jusqu’à la langue, mêlée de références à des marques locales, de paroles de chansons, enfin de termes et d’expressions hispaniques, salvadoriens et mexicains comparés, traduit l’arrachement identitaire et culturel de ce voyage vers une autre vie, n’est pas seulement un témoignage individuel éminemment touchant et saisissant. Il est aussi l’arbre qui permet de voir la forêt avec une acuité nouvelle, l’expression particulière d’une souffrance collective et la voix de tous ces migrants dont l’actualité politique américaine va désormais compliquer plus encore le sort.
Ecrit pour guérir, remercier et porter la voix des migrants, un livre qui, du haut de l’indiscutable sincérité d’un enfant, ne peut qu’emporter le lecteur dans un souffle d’effroi et de tendresse pour ses personnages et sensibiliser de manière magistrale à sa cause. Coup de coeur.
Cela commence comme un conte, se poursuit en une balade méditative et s’achève en une réflexion philosophique sur ce qui fait le prix de nos vies éphémères, entre brefs éclats de beauté et fugitives bribes de bonheur.
Alors qu’elle enterre son chat dans son jardin au bord de l’eau, une femme met au jour un trésor, pièces d’or et bijoux, qui, peu à peu monnayé, lui ouvre l’accès au vaste monde. Quittant comme Ulysse ses pénates, elle voyage, vit un dernier amour à Naples, et déjà se referment les quelques semaines de parenthèse éblouie, entre beautés volcaniques
des îles tyrrhéniennes et sauvagerie de l’océan atlantique. En l’espace d’une saison, après le chat c’est le tour de l’amant, du père et de l’ex-mari dont il lui reste une fille : une série de deuils qui, au seuil de la vieillesse et du repli sur soi, dans un espace de plus en plus restreint à la maison et au jardin, font écho à l’abandon premier, celui de la mère, inexpliqué, à ses sept ans.
Tantôt « je », tantôt « elle », parfois « nous », diversité des pronoms et unicité des prénoms, Louise pour elle, Luigi, Ludwig ou Louis pour lui, sont autant de balises signalant l’universalité des personnages et du récit, en vérité ni plus ni moins que le reflet fabuleux et cyclique de la vie, symbolisée par l’omniprésence de l’eau sous toutes ses formes. Malgré le temps qui passe et la vie qui s’efface, ce ne sont ici ni tristesse, ni mélancolie qui l’emportent, mais l’émerveillement d’un chant célébrant la beauté et la fragilité du monde jusque dans ses moindres détails. Poétique et contemplative, la narration s’attache aux plus frêles instants de beauté et de plénitude pour enrichir un vécu où jusqu’à la douleur s’illumine comme un trésor de guerre.
Mieux vaut pour apprécier cette lecture aimer musarder autour de l’instant présent en se laissant porter par le patient plaisir de la contemplation. A défaut, c’est l’ennui qui, d’un tableau à l’autre de notre dame nature, en vient à poindre le nez malgré les ciselures d’une l’écriture somptueuse et les subtilités d’un texte tout en nuances, un rien énigmatique. Un ouvrage de qualité, à découvrir sans hâte, dans un savant clair-obscur entre jouissance de la vie et mélancolie de la perte.
Démesure épique
Les peintres s’invitent régulièrement dans les romans de Patrick Grainville. Cette fois, c’est la fougue romantique et exaltée de Théodore Géricault qui, trouvant son point d’orgue dans son célèbre Radeau de la Méduse, vient nourrir les somptueuses démesures de sa prose.
A l’origine du fameux tableau, une terrible histoire vraie défraye la chronique en 1816, lorsqu’en envoyée au Sénégal au sein d’une flottille militaire pour y reprendre possession de ce territoire colonial, la frégate la Méduse confiée à un commandement inexpérimenté s’échoue sur le banc d’Arguin, au large de la Mauritanie. Cent quarante sept marins et soldats, quelques officiers et une cantinière s’entassent sur un radeau de fortune. Après treize jours d’une errance sans nom, sans eau potable ni vivres, entre mer démontée, bagarres et mutineries, enfin cannibalisme, quinze rescapés seulement finiront par être secourus.
Surnommé le « naufrage de la France », le drame provoque un scandale retentissant que la monarchie de Louis XVIII tente d’étouffer. Géricault décide pour sa part de lui consacrer une toile de très grande dimension, cinq mètres de haut et sept de large, destinée à être présentée au Salon de 1819. L’accueil de la critique et du public sera acerbe. Pourquoi mettre en lumière un tel désastre national, qui plus est doublé du tabou de l’anthropophagie ? En attendant, le peintre multiple les études et les versions de son radeau, s’intéresse au récit des survivants, stocke des restes humains pour mieux les représenter dans son atelier empuanti.
L’on assiste aux affres de sa création, nourrie de celles de sa vie privée, tumultueuse et scandaleuse aussi alors qu’une passion interdite le lie à sa tante à peine plus âgée. Passionné, l’homme est de tous les excès et chevauche la vie comme les chevaux dont il a la passion, à bride abattue et jusqu’à s’en rompre le cou à même pas trente-trois ans. La plume sans fausse pudeur de Patrick Grainville épouse l’animalité sauvage de sa peinture équine, s’enflamme de l’ardeur charnelle de sa passion amoureuse, souffre de ses désarrois de génie torturé. Au corps-à-corps du peintre avec sa toile, tout entier dans le dépassement de son art et des conventions, répondent les envolées lyriques d’une écriture bouillonnante et flamboyante, devenue prolongement du pinceau.
Un souffle épique traverse cette passionnante fresque romanesque, à la fois portrait habité d’un peintre visionnaire, aujourd’hui considéré comme le père du romantisme, et récit baroque d’une genèse artistique aussi impressionnante que l’histoire vraie qui l’inspira. Géricault-Grainville, ou la rencontre de deux inimitables démesures.