Ce livre est un récit sur l' absence, sur la disparition d'un être cher. Où est-il ? A-t-il prémédité ce départ ?
Comment gérer l' absence ?
Qui est cette absente évoquée dans le livre ? Elle est Sarah, 22 ans partie après le décès brutal d'une amie . Ses parents et sa soeur, Lisa l' ont accompagnée à l' aéroport; direction , le Groenland. Sarah doit revenir quelques mois plus tard, mais au vol du retour , elle n'est pas là.
Là les parents commencent à s'inquiéter, ils n'ont reçu aucun appel téléphonique, aucun courrier de leur fille depuis son départ. Ils vont regarder
tous les vols, demander des renseignements, l' attente débute.
Toujours attendre , un appel téléphonique qui ne viendra jamais. Etre à la maison, si jamais Sarah revenait.
Qu’elle reste à l’appartement, elle, surtout ne pas sortir il faut quelqu’un près du téléphone, qu’elle commande une pizza si elle a faim mais vite, pas de conversation prolongée, laisser la ligne disponible."
Vivre, est-ce là vivre ? et Elsa, la seconde est oubliée. On ne vit que pour Sarah. On fête l' anniversaire de Sarah depuis 27 ans. On ne vend pas l' appartement au cas où ...elle réapparaitrait.Une Sarah disparue , mais qui est toujours omniprésente.
La vie de Lisa semble complètement invisible aux yeux de ses parents. Comment se construire sur l' absence d'une autre , s'identifier dans une telle situation ?
Valentine Goby alterne les passages de vie du père et de la mère. Elle laisse souvent la parole à Lisa. Le récit comporte des" flash-backs" sur la vie de Sarah, et des instants de vie d' Elsa.
Je me suis laissée porter par ce récit en demi-tons , qui alterne passé et présent. Banquises est un récit magnifique sur l’absence, sur la douleur de la perte quant celle-ci n’est pas totalement avérée, sur le deuil impossible.
Autopsie d'une disparition
Comment s'extraire de la peine et du décompte qui retient en arrière père et mère ? Combien d'année à rebours ? Comment continuer à vivre et se faire une place avec deux parents qui ne se remettront jamais de la disparition d'une soeur ? Comment créer des frontières pour éviter des regards qui endiguent toute dispersion et continuer à vivre ? Comment réserver un espace pour le présent ? Comment éviter cette poche de dépression et ce sujet devenu le centre de toute action de toute parole et de toute pensée ? Comment éviter la peine d'une mère qui vous a presque oublier dans son chagrin ? Comment faire le deuil d'une disparue ? Aucune réponse à ces questions mais le récit précipité de vies qui n'ont pas su combler le trou de l'autre et qui n'a fait qu'aimanter sa soeur vers l'endroit de sa disparition : la banquise, le nord qu'il faut lui laisser et ou l'on peut peut-être encore trouver une piste bien que le monde continue sa progression depuis tant d'année. C'est un précipité d'années, d'émotions, de niveaux car il a fallu aussi grandir avec ça, ce huit clos et s'aménager quelques accalmies, garder raison, exister. Valentine Goby nous livre un récit au rythme précipités, aux temps mélangés et dérangés par la disproportion qu'a pris une donnée du passé. Détails et états d'âmes sont au coude à coude, la chose ne passe pas, on est toujours dans l'action mais aussi perdu dans milles pensées et déraisons parentales alors pourquoi ne pas aller chercher des sensations neuves sur le lieu de la disparition... La mère enfante encore et ne cessera de souffrir. Le père a besoin de sa femme et Lisa sait leur chagrin et l'éprouve. On est à l'épreuve et pour rendre cet enfer Valentine Goby a choisi les nerfs quand elle fait dire à son héroïne que dans Balzac, il y a trop de déco. Il faut sans cesse décomposé un sentiment, une action, une impression. Et puis parfois l'on respire par un trou dans la glace, minuscule en revenant dans un monde si fantasmé par la littérature et notre imaginaire, un monde sans ombres, un monde où l'on peut toujours croire que l'existence tient à autre chose qu'à l'attente et s'exercer au détachement provisoire. Le récit devient alors autre et s'autorise un peus de fantaisie, voire d'ironie dans cet espace que le monde a rejoint et où la glace est rompu et le vieux monde perdu. "Tenter de parcourir un lieu autre que cette douleur si vaste".