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Entre la Commune de Paris et Mai 68, les révolutions ont toujours affiché une prescription mémorielle : conserver le souvenir des expériences passées pour les léguer au futur. C'était une mémoire « stratégique », nourrie d'espérance. En ce début du xxie siècle, cette dialectique entre passé et futur s'est brisée et le monde s'est enfermé dans le présent. La chute du communisme n'a pas seulement enterré, une fois pour toutes, la téléologie naïve des « lendemains qui chantent » ; elle a aussi enseveli, pour un long moment, les promesses libératrices qu'il avait incarnées.
Alors que l'histoire semble suspendue, les révolutions des deux siècles écoulés s'entourent d'un halo mélancolique. Un cycle s'achève sous le signe de la défaite.
Mais ce nouveau rapport entre histoire et mémoire nous offre la possibilité de redécouvrir ce qu'Enzo Traverso, à la suite d'Hannah Arendt, appelle une « tradition cachée », celle de la mélancolie de gauche. Comme un fil rouge, cette mélancolie traverse l'histoire révolutionnaire, d'Auguste Blanqui à Walter Benjamin, de Louise Michel à Rosa Luxemburg, de Léon Trotski à Daniel Bensaïd.
Elle n'est ni un frein ni une résignation, mais une voie d'accès à la mémoire des vaincus qui doit permettre à la gauche de prendre conscience d'un héritage impossible à refouler, d'un nécessaire travail de deuil. Aux antipodes du manifeste nostalgique, ce livre – qui se déplace avec bonheur entre les tableaux de Gustave Courbet et l'iconographie soviétique des années 1920, entre le lyrisme insurrectionnel de Serguei Eisenstein et l'élégie funèbre de Théo Angelopoulos, en passant par la mémoire réflexive de Chris Marker, Ken Loach et Carmen Castillo – établit un dialogue fructueux avec les courants de la pensée critique et les mouvements politiques alternatifs qui surgissent aujourd'hui dans plusieurs régions du monde.