Une formule à l'emporte-pièce, lancée avec l'accent corse dont elle ne s'est jamais départie, l'a rendue célèbre : " Pourvou que ça doure ! " L'histoire ne cessera jamais de s'étonner au spectacle de cette femme, épouse d'un petit avocat corse besogneux, veuve à 35 ans, dont toute la jeunesse s'écoule au milieu des embarras d'argent les plus cruels, qui tient d'une main de fer le gouvernail d'une famille de huit enfants et qui, ralliée à la Révolution française, sauve les siens en les mettant à l'abri en France. Elle vit avec des bons de pain pour " patriotes nécessiteux ", elle lave elle-même son linge dans la rivière - et la voici presque du jour au lendemain, mère d'un empereur, de trois rois, d'une reine, de deux princesses souveraines !
Elle accompagne l'ascension de Napoléon sans en être jamais éblouie, seul membre de la famille à oser l'affronter. Quand Lucien se rebelle contre son frère, c'est son parti qu'elle adopte en refusant d'assister au sacre impérial à Notre-Dame. Devenue " Madame Mère ", cette femme simple et presque illettrée en impose à l'Europe par une dignité superbe. Au milieu de cette famille difficile, toujours en conflits, elle apaise les discordes, calme les colères et tempère les injustices. " De tous mes enfants, dit-elle, c'est le plus malheureux que j'aime le plus ! "
Après Waterloo, accueillie à Rome par le pape Pie VII, elle aide ses enfants prodigues de sa fortune prudemment mise à l'abri. Surtout, elle plaide inlassablement auprès des rois pour que soit adouci le sort du prisonnier de Sainte-Hélène : c'est pour lui seul que battra jusqu'à sa mort son cœur chaleureux.