Il a fallu que le père de Doan Bui se fige dans le silence à la suite d’une attaque cérébrale pour que sa fille, grande reporter à l’Obs - s’interroge soudain sur ses origines. “ Ma famille me paraissait vide, sans racines, sans lieux à épingler sur une carte. Un château de sable sans fondations.” Doan qui est fascinée par la géographie des noms et des régions, ceux d’Henri Bosco, d’Henri Troyat, de Georges Duhamel et de Roger Martin du Gard, va alors se glisser dans les habits de l’enquêtrice pour remonter le grand fleuve du temps.
On lit de très belles pages
sur l’enfance à l’ombre de ce père perdu dans ses pensées : “Lors de ces longs trajets, nous pleurnichions, nous nous disputions, nous vomissions parfois. Mon père restait toujours calme. La route l’apaisait. Ovide écrit que les exilés laissent leur corps derrière eux. En voiture papa était juste là, son corps et son âme enfin rassemblé. Serein.”
Ce père qui examinait, avec son microscope, en direct les tumeurs lors des opérations pour indiquer au chirurgien s’il devait seulement ôter tout ou partie de l’organe, ce père était myope et on dit que les myope voit mieux de près. Sa fille dans son travail d’enquête va, pour le coup, elle aussi examiner au plus près l’histoire de celui qui quitta le Vietnam pour venir s’installer en France.
Elle revient d’ailleurs avec humour sur ses origines :“Nous sommes, mon frère, mes soeurs et moi, des enfants “bananes”, jaunes à l’extérieur, blancs à l’intérieur. Tous nés en France. De purs produits de la République française. (…) Mon père s’accrochait à son pays perdu grâce à la nourriture. Ma mère cuisinait vietnamien pour mon père, français pour nous.”
Quand en 2007 Doan Bui écrit au service central d’état civil de Nantes afin d’obtenir un extrait d’état civil pour son père et sa mère, nés à l’étranger. Les fonctionnaires retrouvent la trace de sa mère mais selon eux, son père n’existe pas… Les pages qui suivent sont terribles. Elles soulignent l’infortune de perdre son origine. Doan Bui sombre soudain devant un guichet de l’administration dans le marigots des mal-nés car l’origine de son père étant perdue, elle ne peut de son côté renouveler ses papiers. Commence alors un long travail d’investigation qui va obliger Doan à suivre les méandres d’une histoire comportant de complications qu’une montre Suisse. Il lui faudra plusieurs années et un voyage dans la terre de son père pour retisser le tissu déchiré des origines.
“Le silence de mon père” est un récit magnifique , à la fois émouvant, dramatique et profond. On suit les pas de Doan sur les traces de son père en retenant son souffle. Impossible de ne pas être bouleversé par cette histoire poignante. Merci Doan Bui. Merci pour ce témoignage d’amour filiale enchâssé dans le tumulte de l’histoire des hommes.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE)
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Il a fallu que le père de Doan Bui se fige dans le silence à la suite d’une attaque cérébrale pour que sa fille, grande reporter à l’Obs - s’interroge soudain sur ses origines. “ Ma famille me paraissait vide, sans racines, sans lieux à épingler sur une carte. Un château de sable sans fondations.” Doan qui est fascinée par la géographie des noms et des régions, ceux d’Henri Bosco, d’Henri Troyat, de Georges Duhamel et de Roger Martin du Gard, va alors se glisser dans les habits de l’enquêtrice pour remonter le grand fleuve du temps.
On lit de très belles pages sur l’enfance à l’ombre de ce père perdu dans ses pensées : “Lors de ces longs trajets, nous pleurnichions, nous nous disputions, nous vomissions parfois. Mon père restait toujours calme. La route l’apaisait. Ovide écrit que les exilés laissent leur corps derrière eux. En voiture papa était juste là, son corps et son âme enfin rassemblé. Serein.”
Ce père qui examinait, avec son microscope, en direct les tumeurs lors des opérations pour indiquer au chirurgien s’il devait seulement ôter tout ou partie de l’organe, ce père était myope et on dit que les myope voit mieux de près. Sa fille dans son travail d’enquête va, pour le coup, elle aussi examiner au plus près l’histoire de celui qui quitta le Vietnam pour venir s’installer en France.
Elle revient d’ailleurs avec humour sur ses origines :“Nous sommes, mon frère, mes soeurs et moi, des enfants “bananes”, jaunes à l’extérieur, blancs à l’intérieur. Tous nés en France. De purs produits de la République française. (…) Mon père s’accrochait à son pays perdu grâce à la nourriture. Ma mère cuisinait vietnamien pour mon père, français pour nous.”
Quand en 2007 Doan Bui écrit au service central d’état civil de Nantes afin d’obtenir un extrait d’état civil pour son père et sa mère, nés à l’étranger. Les fonctionnaires retrouvent la trace de sa mère mais selon eux, son père n’existe pas… Les pages qui suivent sont terribles. Elles soulignent l’infortune de perdre son origine. Doan Bui sombre soudain devant un guichet de l’administration dans le marigots des mal-nés car l’origine de son père étant perdue, elle ne peut de son côté renouveler ses papiers. Commence alors un long travail d’investigation qui va obliger Doan à suivre les méandres d’une histoire comportant de complications qu’une montre Suisse. Il lui faudra plusieurs années et un voyage dans la terre de son père pour retisser le tissu déchiré des origines.
“Le silence de mon père” est un récit magnifique , à la fois émouvant, dramatique et profond. On suit les pas de Doan sur les traces de son père en retenant son souffle. Impossible de ne pas être bouleversé par cette histoire poignante. Merci Doan Bui. Merci pour ce témoignage d’amour filiale enchâssé dans le tumulte de l’histoire des hommes.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE)