Vivrions-nous " l'ère de l'épilogue " (George Steiner) ? Croyants et non-croyants, ne sommes-nous pas moins en butte à une crise de la foi qu'à une crise de l'espérance ? Celle, partout, des jeunes face à leur avenir et à leurs amours ; celle, ailleurs, d'êtres humains à la merci des massacres ou d'exploitation sans fin ; celle, chez nous et ailleurs, des exclus de tout droit. " L'espoir (serait-il) tellement plus vacillant que le désespoir ? " (Françoise Mallet-Joris).
Chrétiens, qui croyons que la proclamation de l'espérance et du bonheur est au centre de la Bonne Nouvelle, comment osons-nous encore en parler ? Nous l'avons fait, et l'élan d'engagement prophétique que nous avons su retrouver depuis trente ans est là pour l'attester.
Ce droit et ce devoir d'espérance, nous les gardons, car ils demeurent imprescriptibles et ce serait faire outrage à l'homme que de l'en priver. Mais peut-être devons-nous nous y prendre autrement. En respectant mieux les médiations concrètes, faute desquelles notre discours, trop incantatoire ou trop volontariste, a pu, pour une part, manquer son but. Sans rien perdre de notre conviction, ne devrions-nous pas convenir qu'il y faut joindre " une vertu moins parfaite, mais plus utile peut-être ? " (Jean-Jacques Rousseau).
C'est pourquoi, nous voudrions plaider ici pour le secours de la sagesse et de son sens des moyens et du possible, sans lesquels les plus belles intentions s'effondrent.
On ne peut vivre sans utopie ni folie. Mais peut-on vivre également sans sagesse ? A condition de voir qu'il y a en elle autre chose que pâle résignation, modération et circonspection. Et qu'ainsi elle peut rendre à l'espérance ses chances réelles, son chemin et son avenir enfin à nouveau imaginables et apprivoisés. Nouvelle et intrépide petite sœur Antigone, qui prend par la main son frère impétueux. Il en est beaucoup qui rêvent de cette sorte de sagesse pour éviter une espérance qui se désespère.