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Justice américaine
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sexe
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subversif
En recevant, dans mon colis de la rentrée littéraire envoyé par Decitre, les épreuves du nouveau roman d'Oriane Jeancourt Galignani, L'audience je l'avais très vite estampillé comme l'un des probables buzz de septembre. Si sa sortie semble se faire beaucoup plus discrète que je ne l'avais présagé, gageons qu'il ressortira du lot dès que la digestion de ces nombreuses publications (607 romans) sera effective.
C'est qu'à l'instar de celui publié par Leila Slimani Dans le jardin de l'Ogre (voir la vidéo de l'auteure dans les liens à la fin de ce billet), le thème abordé dans le
second roman d'Oriane Jeancourt Galignani, l'addiction sexuelle, est particulièrement sulfureux.
Après un premier roman (Mourir est un art, comme tout le reste) consacré à la poétesse américaine et grand symbole féministe Sylvia Plath, Oriane Jeancourt Galignani poursuit son cheminement en s'emparant de ce fait divers survenu au Texas et qui donna lieu à la condamnation pour 5 ans de prison de Brittni Colleps, une jeune professeur accusée d'avoir entretenu des relations sexuelles avec plusieurs de ses élèves pourtant consentants et majeurs. Mais les rapports avec l'affaire originelle s’arrête là puisque Oriane Jeancourt Galignani, au contraire d'effectuer une retranscription journalistique minutieuse, a préféré s'en détacher, ne cherchant pas à interroger Brittni Coleps ou les membres de sa famille pour rentrer dans une vrai démarche romanesque. Ainsi, Brittni Coleps devient Déborah Aunus.
D'une écriture au couteau, froide, plus explicative qu'analytique mais sans épargner aucuns détails en multipliant les scènes plus crues les unes que les autres au fur et à mesure que Déborah Aunus déborde toutes les limites d'un jeu sexuel qui va la perdre, Oriane Jeancourt Galignani si l'on on comprend très vite dans quel camp elle se place (de ceux qui ont dénoncé l'aberration de cette justice américaine prompt à envoyer une femme en prison en raison de ses choix sexuels contre ces hommes et femmes, instigatrice de la loi, procureure à l'affût de l'Affaire, jurés sous couvert d'ultra-puritanisme, juge pourtant corrompu par ses désirs, qui l'ont permise) ne juge jamais et laisse seul au lecteur de choisir où se trouve la véritable obscénité.
Oriane Jeancourt Galignani aurait fait une bien mauvaise avocate tant il est tentant de condamner cette professeure totalement pommée et son jusque boutisme charnel portant son désir au dessus de tout, sans effort d'explication ou tentative d'absolution. Mais elle est un écrivain de talent et dénombre avec habileté ces incongruités, ces petits rouages d'un moteur judiciaire qui, s'ils se mettent tous en branle peut envoyer en prison, dans une nation pourtant porte parole de la liberté, un individu pour ses préférences sexuelles.
AL
"Difficile de comprendre ce qui les attire chez ces filles à qui elle n'est jamais parvenue à ressembler, ces filles qui s'octroient le luxe d'ignorer le désir qu'elles suscitent, comme s'il y avait une vie hors de hommes."
Un incroyable roman sur la morale, la justice et la sexualité !
Oriane Jeancourt Galignani choisit de traiter d'un sujet réel dont les lecteurs francophones ne se souviennent pas forcément. Et comme pour mieux nous impliquer dans l'histoire et rendre notre lecture addictive, l'auteure use d'une méthode très efficace. En effet, le récit se déroule sur les quatre jours d'audience, le dernier étant le verdict, une fois que les jurés ont voté à l'unanimité sur le sort de l'accusée.
Nous oscillons alors entre le déroulement d'un procès haletant et des flash-back torrides qui permettent d'illustrer ce qui est raconté. Au cours du procès, le lecteur est immergé avec un réalisme poignant. Il suivra toutes les questions posées aux "victimes", à savoir les quatre jeunes hommes ayant eu des rapports sexuels consentants avec leur professeur de mathématiques, Deborah Aunus ; une belle blonde aux formes généreuses qui leur envoie des SMS torrides et instaure un jeu dangereux dont elle finira par payer le prix... Mais aussi la piètre défense de son avocat, les expressions de visage des jurés, les témoignages de l'entourage et les pièges tendus par la procureuse pour incriminer l'accusée. Une tension incroyable s'empare du lecteur et ce suspens haletant, digne d'un roman policier, offrira de belles émotions. Riche en documentation et preuves de l'implication de l'auteure dans cette affaire - à l'instar d'une enquêtrice - , le résultat est largement au rendez-vous !
Afin de compléter les faits racontés lors du procès, le lecteur aura le plaisir de basculer en arrière pour assister à la scène en question. Bien entendu, il n'échappera pas à des scènes torrides entre la professeur et ses élèves, très attendus ! Ces flash-back nous permettent de mieux saisir la personnalité de la jeune femme, son entourage, l'espionnage de sa mère, les problèmes de santé de ses enfants, l'absence de son mari en Afghanistan, son passé et ses appétits sexuels. Entretenir des relations secrètes avec ses élèves majeurs ne s'est donc pas fait du jour au lendemain, mais est le résultat d'un long processus psychologique qui tient en haleine le lecteur.
Qui sommes-nous pour juger une femme sur ses activités sexuelles ? Si les élèves étaient majeurs, cela fait d'eux des êtres conscients de leurs actes et non des victimes ? La sexualité de Deborah Aunus est-elle débridée ? Les enseignants abusent-ils de leur pouvoir sur leurs élèves ? Cette femme est-elle dangereuse pour la communauté ? Les lois doivent-elles changer ou justement, faut-il interdire ce genre de pratiques ? Autant de questions qui taraudent le lecteur, mais qui peuvent trouver un éclaircissement dans le plaidoyer et le réquisitoire à la fin du procès ; tous deux remarquables et émouvants. Après, libre à chacun de choisir son camp...