Europe N° 847-848 Novembre-Decembre 1999 : Michel Leiris

Prise dans de souples vestons ou de stricts complets des meilleurs faiseurs, la silhouette mélancolique de Leiris, tête penchée, regard scrutateur, front taraudé de rides, s'enveloppait naguère aussi dans les plis d'une légende dorée. Oui, disaient en aparté de rares et essentiels lecteurs, c'est un écrivain rigoureux, exigeant, mais qui n'a pas encore sa vraie place, parmi les grands. La renommée - embouchant sans doute les trompettes de Verdi, qu'il aimait tant - a désormais grandi et l'œuvre est reconnue, lue, explorée. Peu auront, autant que cet écrivain enclin à la réserve, aussi exactement épousé les passions, les méandres, les avatars de son siècle. Mais une seule ligne de vie, même parallèle au siècle, n'a pu suffire à contenir les vies parallèles de Michel Leiris. Combien de doubles, de moi-fantômes ne lui aura-t-il pas fallu débusquer de son écriture ? Leiris a, comme on le sait, donné un nouveau tour à la quête autobiographique en tirant méthodiquement, méticuleusement, les conséquences de la réalité de l'homme comme être de langage ; de la geste des mots, perdus et retrouvés, il a attendu le déchiffrement de son existence ; gravés en inscriptions sur les frontons romains de ses rêves, étoilés sur la page du poème, disposés dans l'autel privé d'un glossaire, coulissant, dans l'autobiographie, tout au long de lentes périodes proustiennes à la résolution différée, pour donner la plus grande chance aux associations aléatoires, aux échos imprévus. On ira ici à la rencontre d'un écrivain fascinant et l'on démêlera, sans en rompre aucun, les fils multiples et colorés de l'œuvre, de la vie, des rêves.