Pesanteur de l’âme, fardeau, entrave intrinsèque qui provoque un écroulement au ralenti, une paralysie entière, une langueur totale sur tout élan vital. On se retrouve prit entièrement dans un champ de ronces, toute tentative pour faire mouvement ne fait que renforcer l’enchevêtrement. Cette vulnérabilité provient d’un trop-plein de sensibilité, un sens aigue de l’inéluctable dans l’existence qui affiche partout la souffrance et la vacuité. S’y rajoute l’ennui, une recherche - dans le monde, alors qu’il offre un mur de finitude -, de quelque chose qu’il ne possède
pas. Le cœur, avide d’absolu, prend de plein fouet cette déficience normative du monde, sa déception l’évide de l’intérieur. La douleur trouve le point le plus névralgique de l’intériorité dans la profondeur de l’être, « dans une affinité élective » avec toutes les potentielles blessures venant de l’extérieur. Tout devient souffrance, l’existence factuelle et son existence propre. Avec la conviction a priori de n’être rien, de ne rien savoir, la perte de confiance est totale. La mélancolie menace de dégénérer en « désir d’anéantissement », elle fait partir à la dérive, devient active, torturante. De se voir malade procède la maladie : se retirer à soi-même la possibilité d’exister, dévaster les fondements qui valorisent une existence, se perdre dans sa propre vacuité et tout devient absurde, désespoir. Fuir vers les profondeurs, la solitude, le silence, la dissimulation dans une presque invisibilité, une représentation accessoire.
« Il devient ici difficile de se communiquer, difficile de dire simplement ce que l’on pense, ce qui se passe en soi, difficile de nommer simplement par leur nom les choses intérieures. (…) tragique est cette attitude à l’égard de l’expression, cette attitude par laquelle le moyen d’exprimer la pensée véritable dissimule celle-ci autant et plus même qu’elle ne la révèle ».
Fuir la dispersion pour trouver refuge dans les sanctuaires obscurs qui forment les fondations de l’être, rechercher cette densité qui apporte un éclairage différent, une sérénité contemplative à l’existence, aux choses, aux grands espaces, c’est cela même qui fait jaillir paradoxalement l’élément dionysiaque, une nostalgie de l’amour, une aspiration à la beauté. Sans défense, la mélancolie se heurte à l’éphémère, l’insatisfaction que provoque la finitude entraîne donc une aspiration vers l’absolu, même si le mélancolique sait d’emblé qu’elle est vaine et sa recherche infinie.
« L’aspiration à la plénitude de la valeur et de la vie, à la beauté infinie, qui s’unit dans les profondeurs de l’être au sentiment de la fragilité des choses, du manquement, de la partie perdue, à la tristesse, à la désolation et à l’inquiétude qui s’insinuent dans l’âme et que rien n’apaise : telle est la mélancolie ».
Un texte très profond, une fois qu’on a gommé les références mythologiques au Dieu chrétien, dans la conclusion et dans l’introduction où l’on trouve de belles citations de Kierkegaard.
De la mélancolie
Pesanteur de l’âme, fardeau, entrave intrinsèque qui provoque un écroulement au ralenti, une paralysie entière, une langueur totale sur tout élan vital. On se retrouve prit entièrement dans un champ de ronces, toute tentative pour faire mouvement ne fait que renforcer l’enchevêtrement. Cette vulnérabilité provient d’un trop-plein de sensibilité, un sens aigue de l’inéluctable dans l’existence qui affiche partout la souffrance et la vacuité. S’y rajoute l’ennui, une recherche - dans le monde, alors qu’il offre un mur de finitude -, de quelque chose qu’il ne possède pas. Le cœur, avide d’absolu, prend de plein fouet cette déficience normative du monde, sa déception l’évide de l’intérieur. La douleur trouve le point le plus névralgique de l’intériorité dans la profondeur de l’être, « dans une affinité élective » avec toutes les potentielles blessures venant de l’extérieur. Tout devient souffrance, l’existence factuelle et son existence propre. Avec la conviction a priori de n’être rien, de ne rien savoir, la perte de confiance est totale. La mélancolie menace de dégénérer en « désir d’anéantissement », elle fait partir à la dérive, devient active, torturante. De se voir malade procède la maladie : se retirer à soi-même la possibilité d’exister, dévaster les fondements qui valorisent une existence, se perdre dans sa propre vacuité et tout devient absurde, désespoir. Fuir vers les profondeurs, la solitude, le silence, la dissimulation dans une presque invisibilité, une représentation accessoire.
« Il devient ici difficile de se communiquer, difficile de dire simplement ce que l’on pense, ce qui se passe en soi, difficile de nommer simplement par leur nom les choses intérieures. (…) tragique est cette attitude à l’égard de l’expression, cette attitude par laquelle le moyen d’exprimer la pensée véritable dissimule celle-ci autant et plus même qu’elle ne la révèle ».
Fuir la dispersion pour trouver refuge dans les sanctuaires obscurs qui forment les fondations de l’être, rechercher cette densité qui apporte un éclairage différent, une sérénité contemplative à l’existence, aux choses, aux grands espaces, c’est cela même qui fait jaillir paradoxalement l’élément dionysiaque, une nostalgie de l’amour, une aspiration à la beauté. Sans défense, la mélancolie se heurte à l’éphémère, l’insatisfaction que provoque la finitude entraîne donc une aspiration vers l’absolu, même si le mélancolique sait d’emblé qu’elle est vaine et sa recherche infinie.
« L’aspiration à la plénitude de la valeur et de la vie, à la beauté infinie, qui s’unit dans les profondeurs de l’être au sentiment de la fragilité des choses, du manquement, de la partie perdue, à la tristesse, à la désolation et à l’inquiétude qui s’insinuent dans l’âme et que rien n’apaise : telle est la mélancolie ».
Un texte très profond, une fois qu’on a gommé les références mythologiques au Dieu chrétien, dans la conclusion et dans l’introduction où l’on trouve de belles citations de Kierkegaard.