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Tony
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atavisme
Voilà un roman noir, un vrai ! Il n’est pas question ici de parler de polar ou de thriller, on est vraiment, au risque assumé de me répéter (et de me tromper ?), en plein dans le roman noir : celui qui parle de la société (ou d’une société, ici celle des banlieues), des mœurs et de la façon dont un individu peut aborder cette société, tenter d’y faire son trou, d’y survivre et surtout d’y réussir (ou pas).
Tony n’a pas grandi dans la cité mais y a emménagé à 11 ans avec sa mère après que celle-ci eut perdu son travail. Né d’un père gitan absent et d’une
mère dont la profession oscille entre drogué et prostituée, Tony est chapeauté par son oncle qui le fait travailler dans son garage et lui a mis non pas le pied à l’étrier mais la main au gant : Tony vit à travers la boxe. Et Tony a des mains en or. Il va d’ailleurs faire prochainement son premier combat.
La boxe comme bouée de sauvetage dans les banlieues ? Pour Jérémie Guez, c’est une possibilité, un point de départ, mais elle n’est pas suffisante. L’environnement néfaste de la cité reprend toujours le dessus et les travers de la vie peuvent faire dériver n’importe quelle personnalité, aussi bonne et humble soit-elle, vers le crime, la mafia et donc une sorte de déchéance. L’humanité de Tony, son bon (voire excellent) fond ne l’empêcheront pas de couler, c’est écrit entre les lignes dès le départ. La question est plus de savoir comment et pourquoi Tony finira par franchir une barrière qu’il lui est impossible de repasser en sens inverse, quand tout pousse à aller toujours de l’avant, à toujours aller plus loin même si c’est vers sa perte et même si c’est en toute conscience. Parce que Tony, malgré toutes les bonnes volontés d’une part (son oncle, son entraîneur) et son caractère foncièrement honnête d’autre part, est aussi un enfant de la cité qui a grandi dans la peur, avec des valeurs indéniables mais qui encore une fois vont se trouver déformées par le prisme de la cité.
Guez passe en revue tout ce qui fait la banlieue : le trafic de drogue, la castagne, les guerres de gangs, la maison poulaga, l’amitié, le sens de certaines valeurs, la loi du talion, la fascination de la capitale, cet autre ailleurs,…
Pour Guez, vous pouvez prendre deux personnes et leur inculquer la même éducation, les mêmes valeurs, si vous les mettez dans deux environnements diamétralement opposés, vous aurez deux individus qui agiront et réagiront de façons totalement différentes. Tony est l’archétype de l’anti-héros (ou du héros malgré lui) voué à une déchéance certaine à cause de son environnement et qui, dans un autre contexte, aurait pu s’en sortir. Son environnement (familial, sociétal…) a créer chez lui un terreau fertile de frustration qui trouvera à s’épancher dans un processus de vengeance aussi intelligent (pervers ?) que radical dont toute morale n’est pourtant pas exclue.
« Balancé dans les cordes » est un livre fort, moderne, merveilleusement écrit (le style est irréprochable : il est franc mais pudique jusqu’à un certain point, il est un peu à l’image de Tony) et construit : une petite merveille de moins de 200 pages, qu’il serait dommage de ne pas lire. Attention, ce n’est pas un roman politique, c’est un roman social et intrinsèquement humain.
P.S. : et puis un auteur dont le héros parcourt le canal Saint-Martin, s’arrête faire des pompes au square en face de chez moi au milieu de tous ceux qui y sont en permanence tous les week-ends et parle de la boulangerie qui fait l’angle du canal et de la rue Varlin est forcément un auteur qui compte ;-)
Tout frais, tout bouillant, un grand talent !
La boxe. C'est ce qui fait tenir Tony à l'écart de ses potes de la rue et des problèmes de sa mère. Son oncle le soutient tant qu'il se tient à carreau, qu'il bosse au garage et qu'il porte les gants, oubliant dans ses moments la haine qu'il porte à travers lui à son père gitan.
Mais lorsque le compagnon de sa mère envoie celle-ci à l'hôpital, Tony ne peut taire son besoin de vengeance. Hors celle-ci ne peut s'exprimer sans l'aval des caïds de la cité.
Jérémie Guez porte un uppercut direct et sonnant au genre du polar. Avec une précision digne des grands et un sens aiguë de l'empathie pour ses personnages, il vous emporte au plus plus épuré et au plus sombre du roman noir français.