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Née en 1968 en Voïvodine (alors yougoslave, aujourd'hui en Serbie), Melinda Nadj Abonji a d'abord été élevée en hongrois par sa grand-mère. Elle a rejoint à six ans ses parents à Küsnacht, en Suisse. Deux patries, deux langues, deux libertés. C'est sur cette expérience que repose Pigeon, vole. La narratrice Ildikó Kocsis y raconte alternativement des histoires d'émigration et des anecdotes de Voïvodine.
La famille Kocsis a trouvé son bonheur en Suisse. En 1993, elle ouvre son propre restaurant au village. Mais pour en arriver là, il aura fallu aux parents, Rosza et Miklós, de la force, de la patience et de l'humilité. Les deux filles, Nomi et Ildikó, donnent un coup de main mais aspirent à conquérir leur liberté. Elles ne veulent plus se laisser humilier et insulter parce que étrangères. Sur un ton vivace, coloré et plein d'esprit, Melinda Nadj Abonji raconte ces deux aspects d'une émigration et d'une intégration réussies.
L'auteur démontre une grande virtuosité stylistique, capable de construire une forme musicale et un style extrêmement souple tout en conservant la limpidité de sa narration. Elle maîtrise ses différentes langues et en utilise musique et images pour élaborer ainsi une structure rythmique subtile, et pourtant facile à lire, elle nous conduit entre humour et tendresse à la fois à la recherche du secret du grand-père et à la poursuite des aspirations des deux sours.
Le lecteur est aussi fasciné par la vitalité et la modernité de ces jeunes femmes que par le rythme de l'écriture.
Douleur de l'exil
Pigeon, vole est avant tout une histoire de famille, celle de Rozsa et Miklos Kocsis. Les parents quittent la région de la Voïvodine située au nord de la Yougoslavie (ou au sud de la Hongrie) pour tenter leur chance en Suisse. Après plusieurs emplois, des années de galère, ils font venir leurs filles, Idliko, la narratrice et Nomi qui étaient dans un premier temps restées avec leur grand-mère Mamika.
" Allons Rozsa, ce qu'on voulait, c'est que les enfants aient une meilleure vie que nous."
Mais le statut d'immigré est difficile, il faut s'intégrer, passer le concours de naturalisation et être accepté par la municipalité.
"ici, nous n'avons pas encore un destin digne d'un être humain, nous devons le conquérir à force de travail."
La famille réunie s'investit dans la gérance d'un café. Là se mêlent les serveurs de différentes parties des Balkans et des clients suisses. Idliko et Nomi sont maintenant de toutes jeunes femmes, elles vivent leurs expériences dans ce nouveau pays. Si Nomi est plus sociable, naturelle, Idliko perçoit davantage la difficulté de vivre l'exil. Elle pense à sa famille restée au pays en état de guerre, à ses cousins enrôlés d'office dans l'armée yougoslave, à ses tantes et oncles qui connaissent la faim. Et elle s'éprend d'un jeune serbe, Dalibor très marqué par son exil lui aussi.
La lecture est complexe car l'auteur entremêle les paragraphes sur la vie en Suisse et les souvenirs des retours au pays pour des évènements familiaux. Chaque fois, Mamika fait découvrir aux deux filles, des épisodes de la vie de leur père, de leur grand-père. C'est une occasion pour l'auteur de décrire l'histoire du pays depuis la seconde guerre mondiale avec la période fasciste puis la période communiste et la guerre des Balkans.
Mamika joue un rôle important de transmission de la mémoire et après son décès, Idliko en parle en utilisant le "vous" qui est à la fois une marque de respect mais aussi peut-être une intention de reproche dans le fait que c'est Mamika qui les a amenées en Suisse pour rejoindre les parents.
Le style de l'auteur n'est pas forcément très fluide puisqu'elle mélange parfois dans la même phrase le déroulé des gestes et les pensées ou paroles des personnages. Se mêlent aussi les mots étrangers.
Mais l'ensemble donne une vision très pertinente sur la douleur de l'exil et les difficultés d'intégration. Si l'histoire de famille prime sur la grande histoire, l'auteur dresse tout de même un aperçu très intéressant et enrichissant de ce pays éclaté.
La narratrice, Idliko est un jeune fille tiraillée entre l'amour pour son pays, ses souvenirs de famille et sa nouvelle vie en Suisse où elle découvre ses premiers émois. C'est une jeune fille sensible, qui sait nous conter les épisodes comiques comme les périodes de doute.
L'auteur confie ainsi sa propre expérience, sans exagérer les informations politiques mais en contant une histoire de famille, de sa propre famille dans un rythme personnel et particulier.