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Parle-moi de "Là-bas" ! Parle-moi surtout-surtout de la Marne, grand vent qui voyage sans répit de par le monde ! On dit que Théodore est mort dans une tranchée. Je ne comprends pas. Pourquoi l'armée de "Là-bas" se cachait-elle dans des trous au lieu de monter au front ? Pourquoi y attendait-elle que le Teuton fonde sur elle? Man Hortense a perdu son fils Théodore, coupeur de canne émérite, à la bataille de la Marne, pendant la guerre de 14-18.
Mais elle ne comprend pas ce qui s'est réellement passé sur ce front si loin de la Martinique... Théodore faisait partie du "Bataillon créole" dans lequel des milliers de jeunes soldats s'enrôlèrent pour aller combattre dans la Somme, la Marne, à Verdun et sur le front d'Orient, dans la presqu'île de Gallipoli et aux Dardanelles. C'est du point de vue martiniquais, celui des parents des soldats, que Raphaël Confiant a choisi de nous faire vivre cette guerre.
Il ya donc Man Hortense ; mais aussi Lucianise, qui tente d'imaginer son frère jumeau Lucien à Verdun : Euphrasie, la couturière, qui attend les lettres de son mari, Rémilien, prisonnier dans un camp allemand. Et, à leurs côtés, ceux qui sont revenus du front : rescapés, mutilés et gueules cassées créoles... Éloge de la mémoire brisée et sans cesse recousue, Le Bataillon créole donne la parole à ces hommes et à ces femmes qui, à mille lieues des véritables enjeux de la Grande Guerre, y ont vu un moyen d'affirmer leur attachement indéfectible à ce qu'ils nommaient la "mère patrie".
La guerre de 14 vue par les Martiniquais
A l'été 1914, des militaires venus de Métropole débarquent en Martinique pour enrôler de jeunes hommes jusque là non soumis aux obligations du service militaire. Dans un grand élan patriotique, ils se pressent nombreux pour aller défendre leur mère-patrie qu'ils appellent « Là-bas », sans bien se rendre compte de ce qui les attend. Théodore, le fils de Man Hortense, coupeur de canne émérite, n'en reviendra pas, tué qu'il sera pendant la bataille de la Marne. Lucien, le frère jumeau de Lucianise, se retrouvera dans l'enfer de Verdun, d'autres dans celui presque aussi horrible des Dardanelles, face aux Turcs, alliés des Allemands. Quant à Rémilien, fait prisonnier, il sera fort mal traité dans un camp allemand. Très peu reviendront aux Antilles. La plupart seront estropiés, mutilés ou gueules cassées. Au bout du compte, la Martinique aura payé au prix du sang versé son attachement à la France.
« Le bataillon créole » n'est pas vraiment un roman historique et encore moins une enquête historique (trop de petits faits contestables pourraient faire tiquer les historiens sérieux), mais plutôt une réflexion sociologique, politique voire poétique sur un événement tragique qui marqua le début de l'autre siècle jusque dans les départements d'outre-mer. Raphaël Constant rend parfaitement l'ambiance qui régnait dans l'île à l'époque, nous dépeint tout un petit peuple de travailleurs, de paysans, de mères ou de soeurs Courage, exploités par d'horribles Békés qui eux, se gardent bien d'envoyer leurs enfants se battre dans les tranchées. Par contre, la réalité de la guerre de 14 vécue par ce bataillon créole est plus suggérée que véritablement décrite. L'auteur contourne la difficulté en citant des extraits de correspondances (sans doute imaginaires) de poilus martiniquais. Il ne respecte pas la chronologie, passe d'un personnage à l'autre, ce qui donne une impression de fouillis et oblige le lecteur à un certain effort pour s'y retrouver dans les différents destins. Sans parler de la langue truffée de mots, expressions et même phrases créoles (heureusement traduites) qui surprend par sa truculence, son emphase, sa créativité et qui entraine le lecteur dans une sorte de tourbillon verbal digne d'un conteur poète. Un ensemble intéressant et agréable à lire même si on peut reprocher un certain manichéisme et quelques positions trop tranchées.