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Inattendu
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Passionnant
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Colorado
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Attendrissant
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Nouveau-Mexique
Quand on lit beaucoup, on apprécie un ton, un style différents. Est-ce pour cette raison que je fus conquise pour ce roman ?
Le scénario est simple. Evangelista, jeune fille de treize ans qui vient de perdre sa mère, Suzana, quitte le foyer de sa tante et le Brésil pour rejoindre dans le Colorado, Fernando, l’ex-mari de sa mère. Son objectif est de retrouver la trace de son géniteur.
La narratrice, Evangelista a aujourd’hui grandi mais elle raconte ces années d’adolescence en quête de ses racines.
La construction est étonnante. C’est un vrai puzzle qui mêle le récit de
cette quête, le passé de Fernando et celui de sa mère que la jeune fille reconstitue grâce au souvenir des discussions avec sa mère ou au fil des confessions présentes de Fernando, mais aussi quelques bribes du futur puisque la narratrice est aujourd’hui adulte.
Avant de rencontrer Suzana, Fernando était un jeune communiste, engagé dans l’Académie militaire de Pékin dans les années 60 puis guerillero dans la forêt amazonienne. C’est l’occasion de revenir sur le passé du Brésil avec la dictature militaire, les tortures subies par les membres de la guerilla. Et c’est aussi une vision de l’exil puisque Fernando a dû quitter le Brésil, ce fut aussi le cas pour Suzana à une époque et c’est la vie de nombreux habitants sans papiers venus d’ici ou d’ailleurs comme le jeune et touchant Carlos, le petit voisin de Fernando.
L’attrait de ce récit réside dans un subtil dosage des choses, une façon d’amener une révélation puis de passer à l’évènement suivant et y revenir avec l’essentiel. La perception d’une adolescente donne à la fois de l’humour simple, de l’évidence et de la naïveté aux évènements. C’est une jeune fille qui découvre la poésie, la neige, la torture, le vieillissement, l’amour, les conditions des immigrés, la mort, la vie.
" Pourquoi les gens passaient ainsi de la vie d’une personne à celle d’une autre, changeaient de ville, changeaient de pays et gagnaient de nouvelles nationalités?"
" Je me demandai si l’espace qu’une personne occupe dans le monde lui survit."
L’émotion est présente, sans être lourde, dans chaque rencontre. Tous les personnages (sauf les militaires) sont aimables et bienveillants.
Fernando, au passé si complexe, est un être calme, vieillissant, un peu désabusé, content de pouvoir aider Vanja en mémoire de sa mère.
" Quand l’ennemi avance, on recule, et quand on doit reculer, on trébuche parfois sur soi-même."
Carlos, ce jeune immigré salvadorien, est touchant par sa naïveté d’enfant, sa volonté d’apprendre et son attachement à Vanja.
On rencontre aussi Florence, une grand-mère artiste perdue dans son monde lunaire,ou June et Isabel, deux anciennes amies de Suzana lors d’un voyage au Nouveau-Mexique.
Je vous recommande cette lecture que je classe en coup de cœur pour sa différence, sa construction certes un peu complexe mais maîtrisée, son émotion retenue.
Recherche du père
Quel tempérament cette Evangelista ! Sa mère vient de mourir, elle vit chez sa tante mais a décidé de prendre sa vie en main. Elle veut retrouver, grâce à son père putatif -qu’elle n’a jamais vu, ne connait pas du tout- son géniteur. Un échange s’engage avec Fernando et la voici partie pour le rejoindre dans le Colorado. Elle n’a que treize ans !! « Ce n’était pas une aventure. Ce n’était pas des vacances, ni une diversion, ni un passe-temps, ni un changement d’air, je partais aux Etats-Unis pour habiter chez Fernando avec un objectif bien particulier en tête : chercher mon père ».
Ces deux là vont apprendre à se connaître. Fernando se dévoilera à la jeune adolescente comme il ne s’est jamais confié. Il déposera son fardeau à ses pieds. Elle découvrira l’homme qui a aimé sa mère et, à travers lui, l’histoire du Brésil.
La gamine passe d’une ville bruyante, bruissante, arborée, luxuriante, humide, colorée à Denver chaude et sèche en été, froide et ventée en hiver, avec peu de verdure, vide, terne.
Ce n’est pas un récit linéaire, il va au fil des pensées d’Evangelista, des « confessions » de Fernando. Jeune homme, il fut activiste, il a combattu au nom d’un idéal gauchiste qui a fait de nombreux morts au Brésil et qui est passé sous silence. Des pages dures, certainement encore plus dures pour les oreilles d’Evangelista.
Evangelista nous parle de filiation, du choix du sol, de l’exil choisi ou subi. Au contact de Fernand, ce père qu’elle s’est choisie et qui la sauve d’une certaine solitude, elle suit le parcours de sa mère jusqu’à retrouver sa grand-mère et… trouver son propre chemin.
Bleu corbeau est plein de la vitalité d’Evangelista. Adriana Lisboa d’une écriture délicate et fine transmet les émotions sans avoir à nous faire sortir les mouchoirs, ce que j’apprécie énormément. Elle sublime le quotidien de Fernando, Evangelista, Carlos. Pas de super-héros dans ce livre, tout est juste, justement écrit. Les personnages sont humains, pas geignards, ils essaient de vivre le mieux possible.
Un très bon roman fin, séduisant, fort bien écrit, comme je les aime.