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" Mon livre est tout entier une invective contre les romans de chevalerie " avertit sans détour Cervantès. Difficile, en effet, de prendre au sérieux les aventures abracadabrantes de cet hidalgo improvisé, adoubé par un aubergiste, et suivi comme son ombre par un écuyer paysan. En défiant la littérature chevaleresque et en se jouant des codes, Cervantès ne se cantonne pourtant pas à la caricature.
Ridicule jusqu'au panache, Don Quichotte de la Manche se hisse dès le xviie siècle en mythe intemporel que l'on ne cesse de lire et de réinterpréter. Enrichi d'un apparat critique de Maurice Bardon, l'ouvrage à la polyphonie foisonnante continue de surprendre par sa modernité et par son burlesque sublime.
Fin d'un monde
En 1615, quand Cervantès achève son roman et fait disparaître Don Quichotte, qui a recouvré la raison, il peut mourir et laisser, cinq ans après, la place au Dom Juan de Tirso de Molina. En un livre, Cervantès a désenchanté le monde, même si Machiavel, Érasme et d'autres l'ont précédé dans son entreprise de démystification/démythification. Dieu agonise, la terre est ronde, la mort barre l'horizon et l'homme est (enfin ?) seul face à lui-même. Montaigne a tenté de faire son autoportrait et il a réussi. L'héroïsme, la noblesse des sentiments et la quête d'absolu se survivront dans de pâles épigones, les d'Artagnan, Porthos, Cyrano, Superman ou Zorro, que le temps peu à peu anémie. La place appartient désormais aux Merteuil, Blangis, Juliette, Vautrin ou à des hommes lourds de terre et de chair : Alceste, Candide, Jacques le Fataliste, Robinson Crusoé, Valjean, Vandenesse, Emma Bovary, Charlus, Meursault.
« Le monde n'est qu'abusion » écrivait déjà, au XVe siècle, François Villon, dans la « Ballade des seigneurs du temps jadis » (« Le Testament. »)