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Le désir d’illustrer L’Enchanteur pourrissant et Le Bestiaire ou cortège d’Orphée est né chez Madeleine Ravary d’un coup de coeur. Sa main s’est mise à dessiner en écoutant une conférence de Jean Burgos sur Merlin et le monstre Chapalu « qui avait la tête d’un chat, les pieds d’un dragon, le corps d’un cheval et la queue d’un lion », emprunté par Apollinaire à un roman médiéval. Toute la si riche tradition du Bestiaire médiéval a imposé les lettres ornées qui scandent la lecture des livres manuscrits jusqu’au XIIe siècle.
Chapalu est lui-même représenté par les lettres qui forment son nom. Illustrer Le Bestiaire, inséparable des gravures de Dufy, ne va pas de soi. Dans les recueils d’OEuvres complètes d’Apollinaire, Le Bestiaire est toujours donné sous sa forme originelle. Une dizaine de prédécesseurs ont osé rompre cette alliance de façons diverses : Lorjou (1965), Sutherland (1979), Moussia de Saint-Avit (1980), Jan Dobkowski (1996), Michel Vincenot (2004), notamment.
Ici c’est la liberté créatrice qui gouverne. Le cortège d’Orphée regroupe tous les animaux du Bestiaire. Le chat s’impose. Le texte peut être manuscrit, composé en forme de cercle, ou disposé en éventail. C’est d’un trait sûr, en aquarelles rehaussées d’encre de Chine, que sont représentés les animaux. Les couleurs subtiles et habilement réparties font chanter les formes. Avec chaque poème, d’inattendus caractères chinois et leur translittération : ils sont la traduction des titres du Bestiaire.
Madeleine Ravary a souhaité contribuer à la connaissance d’Apollinaire en Chine en ouvrant son livre à un pays qui l’a enthousiasmée : la cité lacustre de Jinxi. Le sceau chinois idéogrammatique correspond à l’esprit du Bestiaire, alliance voulue du visible et du lisible. La finesse du pinceau chinois apparaît dans quelques illustrations du second ouvrage qui a retenu l’attention de l’artiste, L’Enchanteur pourrissant.
Ce sont cette fois des fragments, isolés par la volonté de l’artiste qui se concentre sur l’enserrement de Merlin par Viviane, le monstre Chapalu, Orkenise, et toujours les animaux qui tissent des liens entre Le Bestiaire et L’Enchanteur. Les illustrations se font plus grouillantes, plus oppressantes, à l’image de cette forêt mystérieuse où s’agitent des êtres maléfiques. Elles tendent vers l’abstraction lyrique pour évoquer la danse des mouches attirées par la putréfaction ou s’épurent lorsque la dame du lac s’enfonce dans « l’onde silencieuse ».
Malgré l’admiration unanime suscitée par la première édition de L’Enchanteur pourrissant (Kahnweiler, 1909), la solidarité des gravures sur bois de Derain et du texte d’Apollinaire est moins sacralisée que l’alliance des bois de Dufy et des poèmes du Bestiaire. Plusieurs éditions de L’Enchanteur ne reprennent pas les gravures de Derain ou ou n’en retiennent que quelques-unes. Le paradoxe est que ce poème en prose n’a inspiré aucun autre artiste.
Il faut donc saluer ce geste nouveau et plein d’audace de Madeleine Ravary.