La francophonie au Vietnam, du fait colonial à la mondialisation : un enjeu identitaire

Depuis l'origine des temps, les grands peuples se construisent et se reconstruisent à l'aune de leurs rencontres. Parfois pacifiques, souvent tumultueuses ou généreuses, ces rencontres ont généré le plus souvent dans la douleur et la domination un moisson de liens matériels comme immatériels qui façonnent très largement l'humanité d'aujourd'hui. La francophonie vietnamienne a commencé de cette manière.
Elle est bien historiquement fondée sur l'héritage culturel indéniable laissé par la rencontre de deux peuples si différents mais aussi si proches que sont ceux de la France et du Vietnam. Cette rencontre franco-vietnamienne, certes forcée au début et complexe, a conduit à une acculturation positive de la culture vietnamienne par la culture française en ce sens que la culture vietnamienne actuelle est synthèse des éléments de souche de l'Asie du Sud-Est, de ceux de la Chine mais aussi de l'Occident, en l'occurrence, de la France.
Cette parenté culturelle avec la France justifie largement la présence du Vietnam au sein de la Communauté francophone instituée en 1986 lors du Premier Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement ayant en commun l'usage du français à Versailles. 1986 est aussi l'année de lancement de la politique de renouveau au Vietnam, connue sous le nom "Doi moi". La participation du Vietnam à la Francophonie est conforme à la politique d'ouverture et de diversification des relations internationales du pays.
Mais elle est intervenue après trente ans de rupture de dialogue avec la France depuis la fin du régime français en 1954. Cette rupture a fait perdre au français le statut de langue d'administration et d'enseignement mais surtout l'a marginalisé aux rangs des langues étrangères peu apprises. La francophonie au Vietnam interpelle donc par le manque de visibilité francophone. Elle n'y existe actuellement que dans les projets éducatifs et culturels.
Le troisième dialogue international du Vietnam que permet la Francophonie, à côté des dialogues internationaux mondial et régional, est encore timide. Se pose donc la question de l'utilité de la Francophonie dans cette région du monde, excentrée du coeur francophone qui se trouve en Afrique et en Europe. Ce sont effectivement les défis de la mondialisation qui peuvent donner toute place à la Francophonie au Vietnam.
En tant qu'union géoculturelle, la nouvelle Francophonie avec ses valeurs de diversité, de dialogue, de solidarité et de liberté constitue un pôle dans la mondialisation actuelle où le marché prime. Défendant les biens communs de l'humanité, ce pôle francophone est en même temps un espace de dialogue interculturel, le troisième dialogue dont le Vietnam a besoin pour préserver son identité dans la mondialisation libérale qui tend à tout uniformiser.
Mais pour que ce pôle reste incontournable, la Francophonie a besoin de plus de moyens car malgré la sympathie et l'attachement de beaucoup de Vietnamiens envers la langue-culture française, la francophonie vietnamienne a du mal à résister au modèle anglo-saxon qui déferle dans la région. Le développement de la francophonie dépendra de beaucoup de volontarisme. Si la francophonie se développe au Vietnam, elle le sera dans le monde.