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Les Allemands parlent de langue de béton, les Chinois de langue de plomb, les Cubains du tac-tac... Quel que soit le nom coloré qui la désigne, la langue de bois prospère sous toutes les latitudes. Comme si elle était devenue, à nos yeux fatigués, l'expression même de la politique. Courte vue : La langue de bois a bel et bien une histoire, que Christian Delporte fait commencer en 1789 : avec la Révolution française, pour la première fois, les mots deviennent infâmes ou nobles indépendamment de leur sens, suscitant un art oratoire magnifique d'ennui.
En URSS, en Allemagne nazie comme dans les démocraties populaires, la langue de bois connaît (les développements virtuoses, avec des variantes très efficaces en Afrique et au Maghreb. Quel que soit le régime politique, elle s'épanouit particulièrement en temps de guerre : de Napoléon à George Bush, en passant par 14-18 et les " événements " d'Algérie, le bourrage de crânes recourt aux mêmes techniques pour voiler une défaite ou déguiser une retraite en victoire.
Et en période de crise, la langue de bois sait déployer des ressources insoupçonnées pour tourner autour du pot, qu'elle invite pudiquement à la rigueur ou claironne la sortie du tunnel. Sa dernière invention, qui fera date, c'est le parler-vrai : la langue de bois finira bien par nous persuader qu'elle est morte, tant nos politiques font d'efforts pour parler aujourd'hui, disent-ils, comme tout le monde...
Une Histoire de la Langue de Bois
Christian Delporte, professeur à l’Université de Saint-Quentin en Yvelines, est spécialiste de l’histoire des médias et de la communication. Dans cet ouvrage, il analyse la langue de bois, son histoire et les différentes formes qu’elle a pu et peut prendre. Sous sa forme moderne, elle apparaît avec « l’émergence d’un espace public, le surgissement de l’opinion publique avant celle des masses, l’affirmation des idéologies de progrès » et « la construction d’une sphère politique autonome ». Si en parcourant ces pages on peut sourire, au final le constat reste inquiétant devant l’ampleur du phénomène. Toutefois, comme le précise l’auteur, il serait trop simple de ne trouver qu’un seul coupable en la personne des hommes politiques. Il existe une responsabilité partagée face à la place occupée par la langue de bois à l’intérieur de la démocratie. Il y a bien sûr « ceux qui en usent » mais également « ceux qui, à leur manière, l’encouragent, les médias et l’opinion publique ». Un livre éclairant que Christian Delporte explique avoir écrit afin que le lecteur en ressorte « plus lucide et mieux armé pour exercer sa légitime citoyenneté ».