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Le drone est l'instrument d'une violence à distance, où l'on peut voir sans être vu, toucher sans être touché, ôter des vies sans jamais risquer la sienne. Cette forme de violence télécommandée, qui à la fois supprime le face-à-face et fait éclater la distance impose de repenser des concepts apparemment aussi évidents que ceux de combattant (qu'est-ce qu'un combattant sans combat ?) ou de zone de confit (où a lieu, une telle violence, écartelée entre des points si distants ?).
Mais, plus radicalement, c'est la notion de " guerre " qui entre elle-même en crise : le drone est l'emblème de la " chasse à l'homme préventive ", forme de violence qui débouche, à mi-chemin entre guerre et police, sur des campagnes d'exécutions extrajudiciaires menées à l'échelle globale. Cette tentative d'éradication absolue de toute réciprocité dans l'exposition à la violence reconfgure non seulement la conduite matérielle de la violence armée, techniquement, tactiquement, mais aussi les principes traditionnels d'un ethos militaire officiellement fondé sur la bravoure et l'esprit de sacrifice.
Car le drone est aussi l'arme du lâche : celle de ceux qui ne s'exposent jamais. Cela n'empêche pourtant pas ses partisans de la proclamer être l'arme la plus éthique que l'humanité ait jamais connue. Opérer cette conversion morale, cette transmutation des valeurs est la tâche à laquelle s'attellent aujourd'hui des philosophes américains et israéliens qui oeuvrent dans le petit champ de l'éthique militarisée.
Leur travail discursif est essentiel pour assurer l'acceptabilité sociale et politique de cette arme. Dans ces discours de légitimation, les " éléments de langage " de marchands d'armes et de porte-parole des forces armées se trouvent reconvertis, par un grossier processus d'alchimie discursive, en principes directeurs d'une philosophie éthique d'un nouveau genre - une " nécroéthique ", dont il est capital de faire la critique.
quand un gadget technologique remplace la vision politique
"Il y a une crise latente des valeurs guerrières, qui n’est pas nouvelle mais se cristallise sur le drone. Le drone apparaît très largement comme l’arme du lâche, de celui qui n’expose jamais sa vie. Pour les opinions publiques dans les pays frappés, mais aussi les pilotes eux-mêmes. L’image des pilotes de l’US Air force est celle, en grande partie fictionnelle, des chevaliers du ciel. C’est Tom Cruise dans Top Gun. Mais le drone rend les valeurs traditionnelles – courage, bravoure, esprit de sacrifice – superflues et même impossibles. Comme dans d’autres secteurs professionnels, les pilotes sont confrontés à une perte de statut, une déqualification matérielle et symbolique, avec la robotisation, l’automatisation."(https://www.bastamag.net/Drones-comment-des-milliers-de)
La philosophie peut nous sauver de cette idéologie de la télécommande : merci à Grégoire Chamayou et aux éditions de La Fabrique pour ce remarquable travail.