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Il est évident que la fortune pour le moins tardive de ma grand-mère a joué un rôle important dans cette histoire. Sans tout cet argent, mes parents ne seraient jamais revenus s'installer dans le Finistère. Et moi-même sans doute, je n'aurais jamais quitté Brest pour habiter Paris. Mais le vrai problème est encore ailleurs, quand il a fallu revenir des années plus tard et faire le trajet dans l'autre sens, de Paris vers Brest.
Paris-Brest est une histoire d’allers et retours. Tout part et revient à Brest, au bout des terres, omniprésent dans l’univers de Tanguy Viel. Une ville qui aurait pu renaître de ses cendres dans une belle utopie architecturale. Mais « quelques riches grincheux » n’ont rien voulu céder de leurs privilèges, ils ont gardé pour eux la vue sur la baie et le large. On retrouve dans Paris-Brest les motifs qui sous-tendent les livres précédents.
L’Absolue perfection du crime (2001) et Insoupçonnable (2006) : la trahison, les faux frères, le fossé des classes, les efforts dérisoires des pauvres pour s’approprier les privilèges des riches. En revisitant avec une grande rigueur le roman noir, ce jeune romancier (il est né en 1973) construit une œuvre mélancolique, non sans humour. Son écriture va en se dépouillant, toujours aussi efficace, précise, visuelle, d’une remarquable économie.
Il s’agit, dans Paris-Brest, d’un roman familial, à composante autobiographique. Ou plutôt de deux : celui que nous lisons, raconté par un des acteurs, le fils, et, enchâssé comme dans une poupée ruse, celui qu’il a écrit, pour effacer le mal, au cours d’une éclipse parisienne de trois ans. Il y a transposé « des choses sur nous », comme dit la mère. De celui-là, nous ne saurons que ce que le fils nous en dit.
L’argent est le moteur de cette histoire. « Pour ma mère, expliquais-je au fils Kermeur, le monde est très simple, le monde est une sorte de grand cercle et au milieu, il y a une montagne d’argent et sans cesse des gens entrent dans le cercle pour essayer de gravir la montagne et planter un drapeau en haut. » Le fils Kermeur est « au centre de l’échiquier », un pion essentiel et menaçant, seul élément extérieur au microcosme familial.
La mère, « qui n’aime pas les pauvres », le soupçonne de vouloir s’emparer de la fortune qui lui est arrivée par une voie inattendue. Et comme ils ont un contentieux qui date de l’enfance des deux garçons, elle a de bonnes raisons d’avoir peur. La grand-mère a conclu un pacte avec un très vieux monsieur rencontré au Cercle marin. Elle l’a accompagné quelques années, jusqu’à la mort. Ce viager lui a rapporté dix-huit millions et l’appartement sur la baie.
A la seule condition qu’elle garde à son service la femme de ménage. Or cette femme est la mère du fils Kermeur, ce voyou, ce voleur, que la mère pensait avoir éloigné de son fils. Avec elle, l’ennemi de classe est dans la place. La mère en a des crises de spasmophilie. D’autant plus qu’elle-même est au loin, exilée dans le sud de la France, à vendre, mal, des cartes postales. Car, par un mouvement inverse de la fortune, le scandale a frappé le père, accusé d’avoir creusé un trou de quatorze millions dans la caisse du Stade brestois dont il était vice-président.
Le fils a refusé de suivre ses parents dans le Sud honni. Il loge dans un studio en dessous de sa grand-mère. En contrepartie – tout se paie – il l’accompagne au restaurant du Cercle marin, au milieu des officiers momifiés. Tous les soirs, le fils Kermeur, réapparu, vient sonner à sa porte avec une bouteille. A force d’entendre la vieille dame trottiner au-dessus de leurs têtes au milieu de ses richesses, il vient des questions aux garçons : « Franchement, qu’est-ce qu’elle fait de tout ça, ta grand-mère ? » C’est le fils Kermeur qui l’a dit mais ils y pensaient les deux.
Ils seront complices, liés dans le silence. Qui soupçonnerait un petit-fils ? Il part pour Paris, la moitié du butin dans sa valise. Les parents rentrent en Bretagne profiter des millions de la vielle dame. Trois ans passent. Le fils revient pour Noël. Dans sa valise, un manuscrit a remplacé les billets de banque. Il y expose ces « choses sur nous » soigneusement enfouies par la mère, n’épargnant personne : les secrets d’un frère dont on ne savait rien, la vieille histoire du fils Kermeur, tout un tas sordide de non-dits.
La mère lit ce réquisitoire mal caché. Va-t-elle faire une de ces crises qui la laissent sans souffle, la tête dans un sac en plastique ? Non, elle choisit encore une fois le silence et le déni. Absurdement, inutilement. Le fils repart pour Paris, libéré, mettant un point final aux allers et retours dont est tissé son roman familial.
Le Paris-Brest, une pâtisserie alléchante mais un peu lourde
Je n’ai jamais aimé le Paris-Brest, trop gras, trop lourd, ça ne passe pas. Ca été également le cas pour le dernier roman de Tanguy Viel, que je n’ai trouvé ni alléchant ni savoureux. Ce roman est surprenant mais je ne pense pas qu’il me marquera durablement, il est original sans pour autant être particulièrement saisissant. Je suis restée de marbre devant l’intrigue qui n’a pas su m’emporter dans ses remous.
Paris-Brest se veut une « histoire de famille », mais c’est surtout l’angoisse et le mal-être de Louis, narrateur et personnage principal de l’histoire, qui transparaît. Il faut dire pour sa défense que sa famille est assez marquante et traumatisante : un père vice président du club Brestois accusé d’avoir détourné des fonds et donc obligé de s’exiler dans le Languedoc-Roussillon avec sa femme, sa femme qui est une mère despotique et névrosée ayant pour but de régir la vie de ses fils et de sa propre mère, grand-mère du narrateur, qui a hérité des dix-huit millions d’euro d’un vieil amiral. On voit à travers ce premier descriptif que l’argent a une place centrale dans ce roman, tout est dans le non-dit, dans l’implicite, ce qui crée une ambiance malsaine, comme si l’air de la ville de Brest était vicié et que ça influençait tout le monde. Les personnages n’ont aucun rapport sincère, tout est dicté par l’intérêt et l’appât du gain et les réactions surprennent par leur manque de naturel.
Il faut néanmoins relever la mise en abyme présente dans le roman, le jeune narrateur, sorte de double de l’écrivain (y aurait-il une part d’autobiographie dans ce roman ?), profitant de son éloignement de son Brest natal pour écrire un roman familial, « des choses sur nous » comme dit sa mère. Cette mise en abyme n’a cependant rien de comparable à celle des Faux Monnayeurs de Gide et je me suis demandée d’où Tanguy Viel voulait en venir. Son personnage prétend vouloir faire un roman à l’anglaise, comme on le voit dans cet extrait : « On sentait bien qu’il allait se passer des choses violentes et tendues, des choses, disons, gothiques, parce que ce que je voulais aussi, c’était que ça fasse comme un roman anglais du XIXe siècle, quelque chose comme Les Hauts de Hurlevent. D’un côté je voulais faire un roman familial à la française, de l’autre je voulais faire un roman à l’anglaise, et cela d’autant plus que tout se passe en Bretagne et pire qu’en Bretagne, dans le Finistère Nord, c’est-à-dire dans la partie la plus hostile, la plus sauvage et la plus rocheuse de Bretagne, alors c’était d’autant plus normal de donner à tout ça un côté, disons, irlandais, un côté Cornouailles, avec des oiseaux noirs et des pierres fatiguées ». Cependant je n’ai pas apprécié cette histoire de famille fantasmée, dans laquelle le narrateur se venge de ceux à qui il en veut, sans oser les affronter dans la réalité : d’abord et surtout sa mère, et le fils Kermeur, qu’il présente comme le personnage central de son roman. Même dans le roman source, Paris-Brest, le fils Kermeur flotte bomme une ombre maléfique au dessus des autres personnages, c’est une sorte de double négatif du narrateur, sa mauvaise conscience qui le pousse à la débauche, au mensonge et au crime. Ce n’est qu’en faisant son dernier trajet entre Brest et Paris que Louis s’en débarrassera pour de bon.
Je ne connaissais pas l’œuvre de Tanguy Vieil et j’en avais lu des critiques dithyrambiques, malheureusement je ne suis pas de leur avis à propos de Paris-Brest, qui pour moi n'est pas un livre remarquable.