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Gilles et Édith forment un couple tranquille et aisé qui habite le XVe arrondissement de Paris. Un jour, leur femme de ménage leur annonce son départ et leur présente sa remplaçante, Fadila, d’origine marocaine. Très vite, Édith découvre que Fadila ne sait ni lire ni écrire, s’en émeut, puis se met en tête de l’instruire. Mais Fadila n’est pas jeune ; et Édith n’est pas entraînée. L’apprentissage s’avère lent.
Ce qui semblait acquis un jour est oublié la semaine suivante. Fadila est incapable d’appréhender la moindre abstraction, et notamment celle contenue sur une page : c’est comme si elle ne voyait pas les signes inscrits sur le papier. « J’arrive pas moi toute seule », dit Fadila. Édith pourrait dire la même chose de cet apprentissage dont elle a pris la responsabilité. Au fil des semaines, les deux femmes nouent une belle relation, qui repose sur la confiance et l’entraide.
Fadila se dévoile peu à peu et se raconte. Ce n’est pas une marginale : elle a du travail, un toit, une famille. Mais la violence a marqué son rapport aux autres, depuis l’adolescence. Elle a de la rancoeur contre son Maroc natal. En France elle ne se fait pas à la solitude. En dépit de quelques progrès, le niveau de Fadila stagne, et elle se montre bientôt rétive aux leçons, qui la fatiguent et la stressent.
Un matin, heurtée par une voiture, elle tombe dans le coma… Dans une langue sobre et élégante, Laurence Cossé aborde le sujet délicat de l’analphabétisme et cherche à sortir cette problématique de l’ombre.
Quand apprendre à lire ne va pas de soi
« Pour apprendre à lire à Jules, il faut commencer par connaître Jules. »
Lire et écrire, quoi de plus normal pour la plupart d’entre nous, puisque c’est le premier des apprentissages, et qu’il est une seconde colonne vertébrale sans laquelle la vie n’est pas tout à fait pareille. Et pour cause sans la maitrise de la lecture, pas d’autonomie possible, pas de vie normale permise ; rien que la débrouille, l’esquive, et le repli sur soi.
Édith est traductrice, et appartient à ce que les sociologues appellent la classe moyenne supérieure. Fadila qu’elle emploie comme femme de ménage, est marocaine, ne sait ni lire ni écrire, et sa vie n’est que galère. Édith, dans un élan humaniste, et profondément bienveillant se propose de le lui apprendre ; Fadila, avec une volonté de fer, et ce malgré ses soixante-cinq ans, se lance dans cette aventure ô combien périlleuse.
Laurence Cossé met beaucoup d’elle dans ce roman, qui en réalité est en grande partie un récit. Avec beaucoup de délicatesse, elle montre combien être analphabète aujourd’hui est une humiliation dans une société comme la nôtre, où tout passe par l’écrit. Ne pas maîtriser la langue, c’est s’exclure, et se faire exclure, c’est s’offrir en pâture aux escrocs de tous poils. Laurence Cossé ne casse de le montrer tout au long de ces pages.
Forte de son expérience d’alphabétisation d’un enfant, elle va faire preuve d’ingéniosité, mais surtout de beaucoup d’humilité pour tenter d’apprendre à lire à une femme adulte. C’est en apprenant à connaitre Fadila, qu’elle va adapter ses méthodes. Édith tâtonne, essaie, reformule, se fait pratique et pragmatique, sans jamais pénaliser, ni rabaisser Fadila. Parce qu ’Édith ne tarde pas à se rendre compte, que contrairement à ce qui se passe chez l’enfant, l’apprentissage de la lecture chez les adultes n’est pas linéaire, elle va s’adapter sans cesse à Fadila. Les rapports humains qui s’établissent entre les deux femmes vont être bénéfiques autant à l’une qu’à l’autre. C’est en rentant à pas feutrés dans la vie de Fadila, que, petit à petit, Édith va comprendre ce qui a amené Fadila dans cette situation.
C’est avec beaucoup de naïveté que j’ai « touché du doigt » un problème sociétal dont on parle de plus en plus, mais pour lequel il me manquait ce petit quelque chose indispensable pour comprendre un peu mieux, et surtout ne plus être aussi tranchée sur la question.
L’écriture, et le style sont minutieusement adaptés aux personnages, avec le souci de coller à la réalité sans devenir caricatural, ni discriminant. Il y a beaucoup de sensibilité et de délicatesse dans cet ouvrage qui a le mérite de soulever une problématique, d’amorcer des réponses avec toute l’humilité que cela demande.