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Emouvant
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XXIe siècle
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Paris
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Vietnam
Linda Lê nous place d'emblée dans une situation atypique puisque l'un des narrateurs, Van, nous parle de sa tombe. Et, encore plus étrange, c'est sa femme, Lou qui a lancé sa voiture sur lui alors qu'il sortait de chez sa maîtresse eurasienne, Ulma.
Tour à tour, chaque personnage (Van, Lou, Ulma et Laure la fille de Van) prend la parole.
" Je laisse derrière moi trois femmes auprès de qui j'ai appris la signification du mot AMOUR, amour conjugal, amour paternel, amour défendu, trois femmes que je n'ai probablement pas su aimer comme il fallait, puisque ce que je prodiguais à l'une,
je le retirais à l'autre..."
Du fond de sa tombe, Van explique son lien avec le Vietnam (une enfance un peu similaire à celle de l'auteur). Il a peu connu son père engagé avec les Nord-Vietnamiens, fidèle à Hô Chi Minh, qui mourra au combat d'une rupture d'anévrisme. Sa mère, francophile le pousse vers la culture européenne et lui fera quitter le Vietnam avant la guerre avec le Cambodge.
En France, il épouse Lou, fille d'une bretonne xénophobe. Passionné d'art et de littérature, il travaille comme correcteur pour des maisons d'édition. Depuis la mort de sa mère, plus rien ne le rattache à son pays d'origine. Jusqu'au jour, peut-être où il rencontre Ulma, fruit de la rencontre de Justine, paumée droguée et d'un vietnamien contestataire de passage à Paris.
" Ulma était, comme moi, double, une partie d'elle avait ses amarres, quand l'autre flottait à la dérive, une partie d'elle était à peu près au diapason, quand l'autre ne pouvait s'harmoniser avec rien."
Chaque personnage a ses regrets, ses blessures d'enfance. Laure, adolescente gothique en conflit avec son père, regrette son comportement et se rappelle tout ce que ce père de grande culture lui faisait découvrir. Comme Van ou Ulma, elle cherche à présent ses racines.
Linda Lê allie le côté léger de certaines situations avec la profondeur des personnages partagés entre deux cultures et marqués par des enfances difficiles. Et j'aime lorsqu'un auteur enrichit mon langage (eschatologie, éréthisme, coquecigrues....), ma culture tout en me racontant une histoire.
Dompter les mots.
Réapprendre les mots, les redécouvrir, c’est ce qui m’est venu en premier à l’esprit lorsque je me suis plongée à corps perdu dans le dernier roman de Linda Lê : "Lame de fond"
C’est une lecture intense à laquelle j’ai dû faire face. Intense dans l’écriture, Linda Lê dompte les mots avec une telle finesse qu’on aurait presqu’envie de lire le roman à haute voix juste pour avoir le plaisir de les entendre se faire écho, se jouer des métaphores et autres effets de style.
Intense par les histoires qu’il révèle. Nous sommes face un quatuor : un homme, Van d’origine vietnamienne qui vient de mourir et nous raconte sa vie depuis son tombeau; et trois femmes, Lou, son épouse, qui vient de lui ôter la vie, Laure sa fille, un brin déjanté et gothique et Ulma sa maîtresse, énigmatique et envoutante.
Ce sont quatre monologues que l’on juxtapose, des regards croisés sur des destins noués avec en filigrane des thèmes chers à l’auteur : le Vietnam, l’enfance, la famille, les non-dits, le rapport à la mort et à l’exil.
Au lieu de museler les personnages, la mort joue les chefs d’orchestre jusqu’à amplifier la cacophonie dans laquelle se déroule nos vies.
Leur récit est à la fois distant et chaleureux, un goût aigre doux dans une fable incestueuse où les destins s’entrecroisent, s’entrechoquent, se nouent et se défont.
Des histoires lourdes, pesantes qui au fil des mots s’allègent pour nous procurer juste un pur moment de plaisir. Linda Lê semble avoir pris de la distance avec ses démons, elle les aborde sur un ton décalé, elle sort des ténèbres pour nous offrir un moment de lecture lumineux