Celle que vous croyez, est le neuvième roman de Camille Laurens. Il est publié aux éditions Gallimard.
La littérature de Camille Laurens est sinueuse, elle piège : elle dédale. Son œuvre est un miroir. Et nous lisons ces livres comme nous lirions nos vies, comme nous les écririons si… : Si sans censure, nous nous livrions ; si nous avions du courage ; si nous étions lucides.
Camille Laurens se donne en pâture dans ses romans – autofictions ? Qu’importe – : elle se donne, elle s’offre, se cède se solde, s’expose, dans ses romans se romance. Toujours honnête.
Elle
joue et joue et joue quitte à se perdre, quitte à nous perdre, nous lecteurs, dans les méandres de ses textes où le réel chatouille la fiction, où la fiction devient l’un des réels possibles : une réalité à a(d)venir. A l’instar de Delphine de Vigan, dans son dernier roman, son Renaudot D’après une histoire vraie, Camille Laurens interroge sans cesse notre rapport au réel : jusqu’où sommes nous prêts à croire, un livre une histoire, quand ce livre cette histoire sont estampillés vrais, sur la couverture, le résumé, dans la presse, les entretiens…
Dans ce roman-ci, Celle que vous croyez, que l’on pourrait aussi pompeusement intituler Les liaisons dangereuses au XXIe siècle, Claire Millecam, professeur de littérature comparée à la fac, flique sur Facebook l’amant qui la délaisse. Quarante-huit ans, divorcée, blonde, deux enfants, Claire tombe dans les bras de Jo, coureur machiste égoïste dilettante : homme. Il profite Jo des abandons de Claire.
Sur Facebook donc, elle se crée un faux profil : Claire Antunès, vingt-quatre ans, célibataire, brune, étudiante. Pour l’approcher, le sentir, le pister, elle ajoute en ami Chris, pote de biture de Jo, photographe. Et tout dérape.
Claire Millecam s’enfonce, et fonce, son pauvre cœur, dont plus personne ne se sert, à la main, criant à la ronde, à Chris, au monde : « Aimez-moi ! Aimez-moi ! ». Tombe amoureuse bien sûr, avant tout et comme tout le monde, de l’amour qu’on lui donne enfin. La passion des premiers moments que lui offre cet homme, ou plutôt qu’offre cet homme cette femme qu’elle n’est pas, à la fois la comble et l’abat.
Elle ne fait rien : aime et désire simplement. Attendant redoutant le pire, le mur à venir. Vivre l’amour sans pouvoir se montrer.
Mais Claire a cinquante ans. Comment rester femme, rester désirable dans les yeux de l’homme, celui qui trie, qui décide, remise à la cave les mémères à la date de validité dépassée. Alors désirer encore est-il suffisant, quand que les journalistes (des hommes sûrement) reproche à Madonna, cinquante-sept ans, de « vouloir continuer à exister »…
Les propos, oui, sont crus : dérangeants. Assènent en quelques mots bien alignés, des vérités, des-qui font peur, des-qui alarment. Assomment les femmes, condamnent les hommes. Ce roman est, en filigrane, un procès, dont voici la sentence :
« La différence , c’est que tous les hommes ont un avenir. Toujours. Un à-venir. UN avenir sans nous. Les hommes meurent plus jeunes. Peut-être. Mais ils vivent plus longtemps.
J’ai lu que sur les sites de rencontres, la frontière entre quarante-neuf et cinquante ans est pour les femmes le gouffre où elles s’abîment. À quarante-neuf ans, elles ont en moyenne quarante visites par semaine, à cinquante ans elles n’en ont plus que trois. Et pourtant, rien n’a changé, elles sont les mêmes, avec un an de plus.
Vous connaissez le sketch, de je ne sais plus qui, sur la date de péremption des boîtes de conserve : » À consommer jusqu’au 25 mars 2014. Mais qu’est-ce qui se passe donc au fond de cette boîte dans la nuit du 25 au 26 ? » Nous les femmes, nous sommes toutes des boîtes de conserve. Du jour au lendemain, impropres à la consommation. »
En tant que lecteur, ce livre est un choc. Et en tant qu’homme, c’est un tremblement de terre.
Camille Laurens garde ouverts, le temps de la lecture, et pour toujours après ça, les yeux des hommes sur une société des genres qui, bien que moins phallocentrée : axée autour et pensée pour le désir de l’homme, qu’il y a quelques années, est toujours vécue, subie par certaines femmes comme profondément injuste et inégalitaire.
Pour conclure et ouvrir une autre porte, Celle que vous croyez, est l’exemple même du titre qui induit en erreur. Vous pensiez avoir tout compris ? Oui, mais.
Cette histoire, non, n’est pas celle que vous croyez. Ce n’est pas celle-ci qu’il faut croire. Dans ce roman les histoires sont multiples, et le jeu des miroirs aussi. Camille Laurens se cache derrière ses personnages, derrière Claire Millecam, jusque dans son propre nom. Alors qui croire. Qui sont ces gens. Et qui sommes nous ?
Prenez garde, mes amis, à la réalité, ou à la fiction : c’est selon.
Critique à retrouver sur https://debordements.wordpress.com/
LE ROMAN DU MIROIR
Celle que vous croyez, est le neuvième roman de Camille Laurens. Il est publié aux éditions Gallimard.
La littérature de Camille Laurens est sinueuse, elle piège : elle dédale. Son œuvre est un miroir. Et nous lisons ces livres comme nous lirions nos vies, comme nous les écririons si… : Si sans censure, nous nous livrions ; si nous avions du courage ; si nous étions lucides.
Camille Laurens se donne en pâture dans ses romans – autofictions ? Qu’importe – : elle se donne, elle s’offre, se cède se solde, s’expose, dans ses romans se romance. Toujours honnête.
Elle joue et joue et joue quitte à se perdre, quitte à nous perdre, nous lecteurs, dans les méandres de ses textes où le réel chatouille la fiction, où la fiction devient l’un des réels possibles : une réalité à a(d)venir. A l’instar de Delphine de Vigan, dans son dernier roman, son Renaudot D’après une histoire vraie, Camille Laurens interroge sans cesse notre rapport au réel : jusqu’où sommes nous prêts à croire, un livre une histoire, quand ce livre cette histoire sont estampillés vrais, sur la couverture, le résumé, dans la presse, les entretiens…
Dans ce roman-ci, Celle que vous croyez, que l’on pourrait aussi pompeusement intituler Les liaisons dangereuses au XXIe siècle, Claire Millecam, professeur de littérature comparée à la fac, flique sur Facebook l’amant qui la délaisse. Quarante-huit ans, divorcée, blonde, deux enfants, Claire tombe dans les bras de Jo, coureur machiste égoïste dilettante : homme. Il profite Jo des abandons de Claire.
Sur Facebook donc, elle se crée un faux profil : Claire Antunès, vingt-quatre ans, célibataire, brune, étudiante. Pour l’approcher, le sentir, le pister, elle ajoute en ami Chris, pote de biture de Jo, photographe. Et tout dérape.
Claire Millecam s’enfonce, et fonce, son pauvre cœur, dont plus personne ne se sert, à la main, criant à la ronde, à Chris, au monde : « Aimez-moi ! Aimez-moi ! ». Tombe amoureuse bien sûr, avant tout et comme tout le monde, de l’amour qu’on lui donne enfin. La passion des premiers moments que lui offre cet homme, ou plutôt qu’offre cet homme cette femme qu’elle n’est pas, à la fois la comble et l’abat.
Elle ne fait rien : aime et désire simplement. Attendant redoutant le pire, le mur à venir. Vivre l’amour sans pouvoir se montrer.
Mais Claire a cinquante ans. Comment rester femme, rester désirable dans les yeux de l’homme, celui qui trie, qui décide, remise à la cave les mémères à la date de validité dépassée. Alors désirer encore est-il suffisant, quand que les journalistes (des hommes sûrement) reproche à Madonna, cinquante-sept ans, de « vouloir continuer à exister »…
Les propos, oui, sont crus : dérangeants. Assènent en quelques mots bien alignés, des vérités, des-qui font peur, des-qui alarment. Assomment les femmes, condamnent les hommes. Ce roman est, en filigrane, un procès, dont voici la sentence :
« La différence , c’est que tous les hommes ont un avenir. Toujours. Un à-venir. UN avenir sans nous. Les hommes meurent plus jeunes. Peut-être. Mais ils vivent plus longtemps.
J’ai lu que sur les sites de rencontres, la frontière entre quarante-neuf et cinquante ans est pour les femmes le gouffre où elles s’abîment. À quarante-neuf ans, elles ont en moyenne quarante visites par semaine, à cinquante ans elles n’en ont plus que trois. Et pourtant, rien n’a changé, elles sont les mêmes, avec un an de plus.
Vous connaissez le sketch, de je ne sais plus qui, sur la date de péremption des boîtes de conserve : » À consommer jusqu’au 25 mars 2014. Mais qu’est-ce qui se passe donc au fond de cette boîte dans la nuit du 25 au 26 ? » Nous les femmes, nous sommes toutes des boîtes de conserve. Du jour au lendemain, impropres à la consommation. »
En tant que lecteur, ce livre est un choc. Et en tant qu’homme, c’est un tremblement de terre.
Camille Laurens garde ouverts, le temps de la lecture, et pour toujours après ça, les yeux des hommes sur une société des genres qui, bien que moins phallocentrée : axée autour et pensée pour le désir de l’homme, qu’il y a quelques années, est toujours vécue, subie par certaines femmes comme profondément injuste et inégalitaire.
Pour conclure et ouvrir une autre porte, Celle que vous croyez, est l’exemple même du titre qui induit en erreur. Vous pensiez avoir tout compris ? Oui, mais.
Cette histoire, non, n’est pas celle que vous croyez. Ce n’est pas celle-ci qu’il faut croire. Dans ce roman les histoires sont multiples, et le jeu des miroirs aussi. Camille Laurens se cache derrière ses personnages, derrière Claire Millecam, jusque dans son propre nom. Alors qui croire. Qui sont ces gens. Et qui sommes nous ?
Prenez garde, mes amis, à la réalité, ou à la fiction : c’est selon.
Critique à retrouver sur https://debordements.wordpress.com/