« Leur détresse pourtant est un cri qui nous est adressé » (page 32), mais qui l’entend réellement, qui ouvre les yeux après ce choc ? « En niant cette souffrance, on ne laissait aucune chance au désespéré de partager son mal-être. Une douleur flottait dans l’air. Elle planait, menaçante. Personne ne la prenait en charge. Trop lourde à porter»(page 20). Leur destin s’arrête soudain au terminus d’une rencontre avec un train, billet simple pour la mort. « Impuissants à se trouver la plus petite raison de poursuivre le chemin. Il leur fallait une interruption brutale » (page
31). Mourir sans souffrir, souffrir pour vivre, « certains mots ont la force du désespoir », et certaine mort offre un espoir.
Trois morts, trois suicides consécutifs et derrière la sempiternelle formule consacrée qui retentit dans les hauts parleurs « suite à un grave accident…le trafic sera perturbé pour une durée indéterminée ». Mais qui se cache derrière cette détresse inconnue, derrière ce mot personne ? Eric Fottorino tente de remonter aux racines de cette déshumanisation, de comprendre ce désintérêt, ces silences énigmatiques des institutions, des voyageurs car c’est « le temps des trains plutôt que le temps des morts » qui prévaut aujourd’hui. Comme le train, la vie doit reprendre son chemin qu’importe l’obstacle. Une enquête sur les traces de l’individualisme, de l’égoïsme et de l’indifférence.
Nous autres
Qui en effet n'a jamais entendu ce message au moins une fois ? Et sur la voie qui ? Pourquoi ? Ce deuxième stade de questionnement est plus rare parce que on est dans le même convoi et il faut qu'il avance coute que coute. Mais Eric Fottorino a voulu savoir qui ? Pourquoi ? Et à quelle fréquence ? En le faisant, il s'inscrit dans une pensée qui dit que mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde en citant Camus. Ne pas les nommer, c'est aussi nier notre humanité. Alors dans ce texte aussi bref que superbe Eric Fottorino fait preuve d'humanité pour nous autres et redonne un nom, une vie à ceux qui ont parfois succombé à cet attrait et vous seriez bien surpris de les connaître, de les rencontrer enfin après coup. Si le coup est imparable, ce n'est pas qu'un temps perdu pour les autres. Les morts ignorées marquent les esprits au plus profond et Eric Fottorino n'a pu plus longtemps gardé le silence, usager de la même condition... Tout ceci est un bien étrange miroir qui mérite vraiment qu'on s'y attarde et qu'avec lui on médite et honore cette autre forme de mort inconnue. Un livre où la culpabilité circule dans les deux sens comme les trains mais cette modeste stèle aux morts du champs du déshonneur est bel et bien belle et salvatrice, parlant de nos solitudes, de notre grégaire proximité et de l'importance qu'il y a à porter à chacun parce la vie ça demande de l'encouragement comme à dit un jour Emile Ajar et n'oublions pas : "Toutes les occasions sont bonnes pour se manquer".
P.S. : Et bien sur livre à mettre en lien impérativement avec celui de Michel Lesbre : "Écoutes la pluie"