L’histoire est par construction cyclique… Plenel s’attaque donc dans ce pamphlet à ce qui se passe entre les cycles, aux interludes entre « l’ancien qui n’est plus et le nouveau qui n’est pas encore », où se glissent les crises.
Six chapitres forment la trame de ce pamphlet et de la pensée d’Edwy Plenel.
Les monstres
A travers les crises et les interstices, les « monstres » émergent. Ils émergent en fait depuis 1981 et la percée du Front National, jamais démentie depuis malgré les pseudos levées de boucliers des politiques. La gauche et la droite ne sont pas épargnées,
ni celle de Nicolas Sarkozy qualifiée d’anti-républicain et d’anti-démocrate, ni celle de François Hollande accusée de renoncement. Les monstres se nourrissent du pouvoir et de la haine, aussi bien soutenue par Sarkozy que Valls dans leur costume de ministres de l’intérieur puis de Président pour le second nommé.
L’abîme
Plenel reprend à son compte une citation de Victor Hugo de 1901 : « Un abîme est là tout près de nous. Nous, poètes, nous rêvons au bord. Vous, hommes d’Etat, vous y dormez ». Elle rend à la fois compte de la proximité du gouffre devant lequel se dresse la société française et stigmatise l’attitude des politiques qui consiste à sempiternellement faire du récent (et pas du neuf) avec du vieux : c’est la critique acerbe d’un immobilisme suicidaire pour la société et pour son futur.
La démobilisation
Si cela a été flagrant et brutal avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, la réalité n’en est pas moins tout aussi criante avec François Hollande : le pouvoir est devenu hyper-présidentiel et a provoqué l’abdication des autres sources de pouvoirs, gouvernementaux ou parlementaires, au profit d’un seul homme, sans parler du pouvoir populaire qui n’émerge de sa léthargie qu’une fois tous les cinq ans pour replonger sous la coupe du nouveau président. Il invoque Jaurès, Mendes France et cite Tocqueville « les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent ». Edwy Plenel exhorte ainsi plus ou moins tout le monde, y compris nos dirigeants, à retrouver le courage d’oser quitte à créer des apprentis-sorciers. Mais après tout, c’est peut-être notre dernière chance.
La tragédie
Edwy Plenel encourage les politiques à retrouver le sens du tragique. La tragédie a pour origine une blessure qui ne peut se refermer qu’en l’affrontant, en allant de l’avant, contrairement aux politiques depuis trois décennies vouées à l’immobilisme et donc à l’échec pour constamment, malgré les promesses faites, en revenir toujours au crédo suivant « opposer le rêve la réalité pour mieux renoncer à la transformer ».
L’horizon
Page 118, Edwy Plenel écrit qu’il rêve d’une « France du mouvement, non de l’immobilité. Du branchage, plutôt que de la souche ». Il en revient à l’idée que l’horizon (qu’on aurait pu appeler « espoir ») réside dans « l’ailleurs » et « le lointain ». Le passé de la France s’est créé dans la multiplicité, la fraternité (80 % des Forces Françaises Libres n’étaient-elles pas composées d’hommes venant de nos colonies ou d’ailleurs). Mais, pour reprendre l’image de l’arbre, la greffe de la colonisation n’a jamais prise parce que, contrairement à l’histoire de la collaboration, la France n’en a jamais fait le deuil. C’est sur ce terreau fertile que s’abreuve et se nourrit la haine de l’autre qui revient à se détester soi-même. Il faut pouvoir retrouver l’estime de soi et cela passe par l’intégration (et non pas l’assimilation) de l’autre, par la culture de l’égalité, le recentrage de la politique sur le social et la démocratie.
La trace
C’est celle laissée par son père et reprise par Edwy Plenel. Ce dernier reprend en quelque sorte le flambeau de ce père qui, comme beaucoup avant lui, a préféré faire vivre son idéal quitte à en pâtir que de le laisser mourir. Cela explique aussi pourquoi ce texte donne l’impression d’une urgence. On sent qu’Edwy Plenel veut apostropher la classe politique dans son ensemble même si clairement, pour lui, le salut ne peut venir que de la gauche. Cette urgence sonne comme un ultimatum de la dernière chance avant les élections de 2017 : il est plus que temps de réconcilier les français avec tout le monde et en premier lieu avec eux-mêmes.
Edwy Plenel tance vertement le gouvernement actuel pour ses nombreux et choquants renoncements, son ancrage dans un conformisme, une résignation et une soumission que n’aurait renié aucun des gouvernements précédents.
Il en appelle à l’imagination, à la créativité contre l’immobilisme, à la différence, au changement radical du système, entraperçu ou à tout le moins espéré avec François Hollande, en apparente rupture par rapport à Nicolas Sarkozy, et hélas une nouvelle fois déçu : « Pensée pour affirmer la prééminence de l’Etat sur les coteries, la V° République a réussi cette prouesse de transformer l’Etat en relais partisan ou complaisant, dans une entre soi confortable où le renouvellement des cercles dirigeants ne laisse guère entrer la contradiction, la dissonance et la différence ».
Plenel propose un programme alléchant qui ressemble, et c’est là son extrême limite liée intrinsèquement à l’exercice même du pamphlet, à s’y méprendre à un programme politique : des idées fortes et mobilisatrices, de celles qui font gagner des élections, mais pas vraiment de moyens pour les mettre en œuvre. Heureusement, Plenel ne se pose pas en politique mais en penseur, en provocateur, en trublion qui vient titiller là où ça fait mal, dont on a malgré tout un grand besoin et dont la parole est, pour une fois, d’or. Mais la vivacité de cet or est aussi utile en ce qu’elle éclaire les zones d’ombres dans lesquelles, aujourd’hui plus que jamais et depuis plusieurs décennies, les haines s’enracinent et trouvent leur terreau fertile. Au-delà d’une philosophie de vie en communauté, ce livre est un cri d’alarme que le souvenir de son père lui a permis de coucher sur le papier.
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STALINE EST DE RETOUR......