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La multiplication des lieux mémoriels érigés sur le territoire des Etats-Unis dans les récentes décennies a fait du génocide des Juifs une " douleur américaine ". L'oeuvre de mémoire y semble désormais assumée par les espaces commémoratifs et les filières universitaires spécialisées. Le silence des arts dans l'après-guerre a progressivement cédé la place à un enracine-ment d'une ampleur telle que l'on peut parler aujourd'hui d'une centralité de la Shoah dans l'identité judéo-américaine autant que dans la conscience collective au niveau national.
Quel usage les écrivains du continent nord-américain ont-ils fait de cette mémoire de " seconde main " ? L'institutionnalisation de la mémoire de l'événement semble avoir laissé le champ libre aux auteurs de fiction et aux poètes pour " recomposer " l'événement, pour devenir " metteurs en mots ". Pour ceux qui sont issus des vagues migratoires anciennes, l'expérience génocidaire reste extérieure ; les enfants de rescapés sont, eux, porteurs d'une mémoire familiale et la catastrophe historique est devenue catastrophe intime.
En parallèle aux formes traditionnelles d'expression narrative (textes de fiction longs ou brefs, poésie), des supports inédits, tel le roman graphique, ont été expérimentés. La " mise en récit " est marquée par la tension entre approches possibles de l'événement: est-il objet d'histoire ou désastre méta-physique, doit-il être appréhendé dans sa littéralité ou peut-il devenir métaphore ? Toutefois, quelle que soit la forme d'écriture privilégiée, l'exigence intellectuelle et éthique est identique : le processus créatif doit inscrire le Désastre au coeur esthétique et moral de l'oeuvre.