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" Pendant des années, je n'ai pas osé aller chez un médecin pour ne pas montrer mon corps, mutilé de toutes parts. Pendant des années, je n'ai pas osé aller chez le dentiste, parce qu'ouvrir la bouche et sentir des mains près de mon cou provoquait des crises de panique. Comme lorsque mon frère voulait m'immobiliser ; comme lorsque les violeurs de rue me faisaient taire. Les quarante premières années de ma vie ont été des années barbares.
Effroyables. Suffocantes. Je veux réussir les quarante à venir. Pour mes enfants, et pour moi. Dans ce livre, je raconte les viols de mon frère, l'aveuglement de mon père, ma fuite et ma déchéance, les quinze années sans toit au-dessus de ma tête. Et pendant ces années-là, de nouveaux viols - vingt, trente, à partir d'un certain nombre, je n'ai plus compté -, par des voyous de la rue aussi bien que des cadres en costume provenant des tours de bureaux de la Défense.
Ils ont écrasé et volé mon enfance ; ma vie entière. Je n'ai pas pu tout écrire, car certaines violences sont inaudibles... J'ai toujours perçu l'effroi dans les regards des psys et des gens qui ont voulu m'aider. C'était trop pour eux. Alors que dire pour moi ? Aujourd'hui j'élève mes enfants, la maternité m'a en partie réparée ; je m'y consacre pour réinventer avec eux une vie paisible et riche d'amour.
Bon nombre de SDF ne sont pas dans la rue faute d'argent. Ils y sont parce qu'on leur a fait du mal et qu'ils ne savent pas ce qu'est une vie normale. J'écris aussi pour eux. " Anne Lorient
Un témoignage d'une force inouïe
Voici un livre-témoignage violent, à l'image de ce que la vie peut-être lorsque tout s'enraye. On suit l'auteure dans une descente aux enfers qui commence à l'âge six ans, lorsque son frère la viole. Un drame qui n'est que le prélude d'un enchaînement implacable: on subit avec Anne l'omerta de la petite bourgeoisie qui pour sauver les apparences, préfère sacrifier une enfant, on fuit à Paris avec elle à l'âge de 18 ans, et dès lors c'est sans issue, on sombre dans la violence de la rue, violence qui se déchaine avec plus de cruauté encore quand on a la malchance d'être femme, on s'enfonce dans la saleté, la faim, on subit les viols collectifs... C'est une réalité qui échappe à ceux qui ne l'ont pas vécue: le sort que les femmes SDF subissent, dans Paris même, lorsque la nuit tombe et que toutes les portes se sont refermées.
Ce qui est terrible dans ce livre est que tout cela n'est pas une fiction. Anne a vécu le pire. Et si aujourd'hui elle s'en est sortie, cela continue pour d'autres au moment même où vous lisez ces lignes.
Mais ce livre est aussi plein d'espoir, car malgré toute cette noirceur, cette femme qui aurait dû être brisée par la vie, garde envers et contre tous la force de continuer à lutter. Et ce sont ses deux enfants qui lui donnent cette volonté farouche. Par une superbe ironie, c'est sa condition même de femme, qui semblait la condamner à subir, qui lui donnera la force de se battre, à travers la maternité.
Il n'y a pas de hargne, pas d'aigreur dans ce récit, mais une volonté farouche de s'en sortir coûte que coûte. Et ça marche. Aujourd'hui, peu à peu, Anne construit sa nouvelle vie. Témoigner n'a pas dû être facile pour elle, mais certainement une nécessité: pour nous conduire à une prise de conscience indispensable, pour qu'on ne puisse plus dire "on ne savait pas..." Mais aussi pour prouver aussi que c'est possible, que l'on peut se sortir de tout.
Un immense bravo à l'auteure pour son courage ! Puisse son message être entendu par le plus grand nombre !