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Inattendu
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XXIe siècle
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Sylvie
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Cameroun
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Douala
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Boréale
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Homotype
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Doctaire
Commençons par le livre…
Boréale est une jeune camerounaise qui vit dans le quartier pauvre et populaire de Kassalafam. Elle est « entourée » d’une mère aigrie qui la déteste autant qu’elle adore sa grande sœur, d’une tante qui l’a presse de porter son enfant, d’un amant volage… sans parler de sa patronne, Sylvie, femme blanche peintre venue oublier sa pauvre misère française dans une opulence africaine. Mais ceux qui font la vie de ce Douala de fable moralisatrice se sont les prédicateurs, prophètes et gesticulateurs en tous genres.
On (pour)suit donc Boréale
à travers cette ville un peu fantasmagorique et fantasmée. On la poursuit comme dans une course effrénée sous acide. On ne sait jamais vraiment ce que cherche Boréale. Une stabilité ? Une indépendance ? Une vie ? Un sens à sa vie ?
Sur ce dernier point elle n’a que l’embarras du choix ! Encore faut-il faire le bon… Et si aucun ne semble meilleur qu’un autre, Boréale n’en marque pas moins sa préférence. Il y a, pêle-mêle, un prophète qui ne jure que par la religion catholique, un prédicateur (l’amant de Boréale) qui prétend que l’Afrique est à l’origine du Monde et que celles du Cameroun remontent aux dieux égyptiens.
Malgré quelques atermoiements, Boréale se sent plus d’affinités avec cette vision ethnocentrique de la Panafrique qui reprocherai aux blancs leur colonisation (et il y aurait des choses à dire c’est indéniable) dans une espèce de relation d’amour et de haine tiraillée entre la manne financière de ces immigrés en terre africaine et le ressentiment face à ses descendants d’esclavagistes, aux peuples noirs d’avoir abandonné leur rôle de précurseur et leur hégémonie culturelle (qui se font littéralement traiter de « nègres », terme qui sonne comme une accusation sous la plume de Calixthe).
Continuons par l’auteur…
Là, on passe définitivement dans le domaine de la polémique. Polémiques que, malgré des qualités indéniables d’écriture, l’on ne peut occulter et qui viennent nuancer, si ce n’est nettement assombrir, la lecture…
Alors, bien évidemment, je ne suis pas un spécialiste de l’Afrique et j’avoue ne m’être jamais senti directement concerné par la question de l’Afrique, mais les prises de positions de Calixthe Beyala clairement en faveur de Mouammar Kadhafi ou de Laurent Gbagbo semblent douteuses, pour rester mesuré. Le rejet global des blancs, esclavagistes, et des noirs, traitres à la Panafrique, Mais Calixthe Beyala va au-delà de la notion d’indépendance que je suis disposé à reconnaître à toute nation : elle se fait le parangon d’une souveraineté à la dimension du continent. Il n’y a pas plus pour elle qu’un seul peuple noir pour lequel elle prend fait et cause.
Ce que j’ai pu lire à droite à gauche donne l’image d’une personnalité jusqu’au-boutiste et intransigeante, peu ouverte à la discussion et tout cela au final ne la rend pas forcément très sympathique. Le texte mettant Kadhafi sur un piédestal en qualité de père de l’Afrique et de généreux donateur envers son pays qui ne manquait de rien (sauf de liberté, ce qu’elle mentionne tout de même dans son livre) laisse pantois, son échange (qui date de 2009, certes) avec Eric Naulleau et Eric Zemmour (que je porte par ailleurs pas dans mon cœur) n’est pas un exemple de discussion argumentée...
J’ai toujours eu du mal à séparer un artiste et son œuvre de l’être humain qui est (se cache ?) derrière et le mélange explosif que propose Calixthe Beyala me laisse un goût amer. La polémique est une des nombreuses voies possibles pour essayer de se faire entendre. Encore faut-il ne pas la galvauder, la pervertir, la gâcher.
Cet article de Libération me semble un bon condensé de tout cela. Verbatim :
« Née au Cameroun, débarquée en France à 17 ans au bras d’un premier mari qui lui permit d’échapper à la misère, cette romancière prolixe et contestée est aussi une politique exagérée qui n’a pas peur de grand-chose. Depuis toujours, elle se bat pour la discrimination positive et la visibilité médiatique des Noirs, ses «frères». »
« Il y a chez Calixthe Beyala, une capacité à fasciner mêlée à un art de déplaire, une jubilation bruyante à s’affirmer la plus bravache et une acceptation de l’esseulement qui guette les péremptoires. Tout cela ne masque en rien un besoin de reconnaissance impossible à satisfaire et une soif d’honneurs qui, jamais, ne sera étanchée. La romancière a payé le prix de l’Académie française et la protection des vieux hommes en habit vert d’un procès en plagiat assez argumenté. Devant l’évidence des emprunts, elle a commencé par jouer les victimes avant de finir par se revendiquer griot ressassant les morceaux de bravoure des illustres et remixeuse inconsciente des passages aimés. Assez enlevés et pas trop compliqués, ses livres flirtent avec le réalisme magique et se fabriquent un lexique Afrique-Antilles où les yeux globulent, les enfants œdipent, où l’on marche dans les cacas chiens, avant de se livrer à quelques macaqueries. »
Et revenons à nos moutons…
Calixthe Beyala dépeint une société camerounaise matriarcale (c’est la mère qui porte l’enfant, l’homme n’est qu’un moyen d’avoir une descendance, un outil humain dont les sentiments n’ont aucune valeur) mais dans laquelle finalement l’homme n’ayant pas vraiment de rôle à jouer est le plus libre de faire ce qu’il veut sans rendre de comptes à personne. Cette ambivalence sous-tend tout le livre, quel que soit le thème abordé : la famille, le rapport aux blancs, aux « nègres » traitres, aux religions… Il y a, par ci par là, des références bibliques pertinentes et qui peuvent prêter à la réflexion. Le livre fonctionne d’ailleurs comme une parabole biblique.
Je ne reviens pas sur les points de vue défendus par l’auteure, simplement pour souligner que, de façon bizarre, tout le livre montrerait plutôt une société africaine totalement inapte à l’autonomie et à l’émancipation. Toute la société est corrompue, vérolée, qu’il s’agisse du gouvernement, des services administratifs ou de police, des religieux qui pervertissent le sacré à longueur de journées. Seule Boréale trouve la force à la toute fin du livre de se prendre en main, comme un exemple pour un pays, un continent.
Il y a dans ce « Christ selon l’Afrique » une part non négligeable de vécu, d’inspirations tirées par Calixthe Beyala de sa propre vie. Cela se ressent et on ne peut lui dénier le fait d’écrire littéralement avec ses tripes, dûment assaisonnées avec un style, comme mentionné précédemment, tirant ses racines lexicales et stylistiques vers une poésie toute africano-antillaise.
On l’a constaté, les thèmes ont tendance à faire la part belle aux généralisations et parfois aux clichés. En insistant de façon outrancière, Calixthe se penche de côté de la caricature pour forcer le trait et appuyer son propos.
On le voit, le style et la méthode ne sont pas dénués d’intérêt et d’une certaine efficacité. La seule véritable question qui reste en suspens est de savoir si elle a bien raison de faire tout cela… et surtout dans quelle direction elle veut nous emmener !
De la dualité de l'oeuvre et de son auteur
Commençons par le livre…
Boréale est une jeune camerounaise qui vit dans le quartier pauvre et populaire de Kassalafam. Elle est « entourée » d’une mère aigrie qui la déteste autant qu’elle adore sa grande sœur, d’une tante qui l’a presse de porter son enfant, d’un amant volage… sans parler de sa patronne, Sylvie, femme blanche peintre venue oublier sa pauvre misère française dans une opulence africaine. Mais ceux qui font la vie de ce Douala de fable moralisatrice se sont les prédicateurs, prophètes et gesticulateurs en tous genres.
On (pour)suit donc Boréale à travers cette ville un peu fantasmagorique et fantasmée. On la poursuit comme dans une course effrénée sous acide. On ne sait jamais vraiment ce que cherche Boréale. Une stabilité ? Une indépendance ? Une vie ? Un sens à sa vie ?
Sur ce dernier point elle n’a que l’embarras du choix ! Encore faut-il faire le bon… Et si aucun ne semble meilleur qu’un autre, Boréale n’en marque pas moins sa préférence. Il y a, pêle-mêle, un prophète qui ne jure que par la religion catholique, un prédicateur (l’amant de Boréale) qui prétend que l’Afrique est à l’origine du Monde et que celles du Cameroun remontent aux dieux égyptiens.
Malgré quelques atermoiements, Boréale se sent plus d’affinités avec cette vision ethnocentrique de la Panafrique qui reprocherai aux blancs leur colonisation (et il y aurait des choses à dire c’est indéniable) dans une espèce de relation d’amour et de haine tiraillée entre la manne financière de ces immigrés en terre africaine et le ressentiment face à ses descendants d’esclavagistes, aux peuples noirs d’avoir abandonné leur rôle de précurseur et leur hégémonie culturelle (qui se font littéralement traiter de « nègres », terme qui sonne comme une accusation sous la plume de Calixthe).
Continuons par l’auteur…
Là, on passe définitivement dans le domaine de la polémique. Polémiques que, malgré des qualités indéniables d’écriture, l’on ne peut occulter et qui viennent nuancer, si ce n’est nettement assombrir, la lecture…
Alors, bien évidemment, je ne suis pas un spécialiste de l’Afrique et j’avoue ne m’être jamais senti directement concerné par la question de l’Afrique, mais les prises de positions de Calixthe Beyala clairement en faveur de Mouammar Kadhafi ou de Laurent Gbagbo semblent douteuses, pour rester mesuré. Le rejet global des blancs, esclavagistes, et des noirs, traitres à la Panafrique, Mais Calixthe Beyala va au-delà de la notion d’indépendance que je suis disposé à reconnaître à toute nation : elle se fait le parangon d’une souveraineté à la dimension du continent. Il n’y a pas plus pour elle qu’un seul peuple noir pour lequel elle prend fait et cause.
Ce que j’ai pu lire à droite à gauche donne l’image d’une personnalité jusqu’au-boutiste et intransigeante, peu ouverte à la discussion et tout cela au final ne la rend pas forcément très sympathique. Le texte mettant Kadhafi sur un piédestal en qualité de père de l’Afrique et de généreux donateur envers son pays qui ne manquait de rien (sauf de liberté, ce qu’elle mentionne tout de même dans son livre) laisse pantois, son échange (qui date de 2009, certes) avec Eric Naulleau et Eric Zemmour (que je porte par ailleurs pas dans mon cœur) n’est pas un exemple de discussion argumentée...
J’ai toujours eu du mal à séparer un artiste et son œuvre de l’être humain qui est (se cache ?) derrière et le mélange explosif que propose Calixthe Beyala me laisse un goût amer. La polémique est une des nombreuses voies possibles pour essayer de se faire entendre. Encore faut-il ne pas la galvauder, la pervertir, la gâcher.
Cet article de Libération me semble un bon condensé de tout cela. Verbatim :
« Née au Cameroun, débarquée en France à 17 ans au bras d’un premier mari qui lui permit d’échapper à la misère, cette romancière prolixe et contestée est aussi une politique exagérée qui n’a pas peur de grand-chose. Depuis toujours, elle se bat pour la discrimination positive et la visibilité médiatique des Noirs, ses «frères». »
« Il y a chez Calixthe Beyala, une capacité à fasciner mêlée à un art de déplaire, une jubilation bruyante à s’affirmer la plus bravache et une acceptation de l’esseulement qui guette les péremptoires. Tout cela ne masque en rien un besoin de reconnaissance impossible à satisfaire et une soif d’honneurs qui, jamais, ne sera étanchée. La romancière a payé le prix de l’Académie française et la protection des vieux hommes en habit vert d’un procès en plagiat assez argumenté. Devant l’évidence des emprunts, elle a commencé par jouer les victimes avant de finir par se revendiquer griot ressassant les morceaux de bravoure des illustres et remixeuse inconsciente des passages aimés. Assez enlevés et pas trop compliqués, ses livres flirtent avec le réalisme magique et se fabriquent un lexique Afrique-Antilles où les yeux globulent, les enfants œdipent, où l’on marche dans les cacas chiens, avant de se livrer à quelques macaqueries. »
Et revenons à nos moutons…
Calixthe Beyala dépeint une société camerounaise matriarcale (c’est la mère qui porte l’enfant, l’homme n’est qu’un moyen d’avoir une descendance, un outil humain dont les sentiments n’ont aucune valeur) mais dans laquelle finalement l’homme n’ayant pas vraiment de rôle à jouer est le plus libre de faire ce qu’il veut sans rendre de comptes à personne. Cette ambivalence sous-tend tout le livre, quel que soit le thème abordé : la famille, le rapport aux blancs, aux « nègres » traitres, aux religions… Il y a, par ci par là, des références bibliques pertinentes et qui peuvent prêter à la réflexion. Le livre fonctionne d’ailleurs comme une parabole biblique.
Je ne reviens pas sur les points de vue défendus par l’auteure, simplement pour souligner que, de façon bizarre, tout le livre montrerait plutôt une société africaine totalement inapte à l’autonomie et à l’émancipation. Toute la société est corrompue, vérolée, qu’il s’agisse du gouvernement, des services administratifs ou de police, des religieux qui pervertissent le sacré à longueur de journées. Seule Boréale trouve la force à la toute fin du livre de se prendre en main, comme un exemple pour un pays, un continent.
Il y a dans ce « Christ selon l’Afrique » une part non négligeable de vécu, d’inspirations tirées par Calixthe Beyala de sa propre vie. Cela se ressent et on ne peut lui dénier le fait d’écrire littéralement avec ses tripes, dûment assaisonnées avec un style, comme mentionné précédemment, tirant ses racines lexicales et stylistiques vers une poésie toute africano-antillaise.
On l’a constaté, les thèmes ont tendance à faire la part belle aux généralisations et parfois aux clichés. En insistant de façon outrancière, Calixthe se penche de côté de la caricature pour forcer le trait et appuyer son propos.
On le voit, le style et la méthode ne sont pas dénués d’intérêt et d’une certaine efficacité. La seule véritable question qui reste en suspens est de savoir si elle a bien raison de faire tout cela… et surtout dans quelle direction elle veut nous emmener !