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"Là, avait dit Bahi en montrant le milieu d'un coteau où ployaient les tiges de blés encore verts, là, et marchant à pas rapides jusqu'au point désigné, à cet endroit exactement, comme si le contact de la terre sous ses pieds avait d'un coup fait ressurgir en lui la scène entière, comme si entouré des mêmes collines des mêmes champs que cinquante ans plus tôt il s'était brusquement mis à revoir chaque détail de la matinée d'alors.
". Au volant d'un camion, sur les routes d'Algérie, Bahi raconte au narrateur ses souvenirs de la ferme où il a travaillé cinquante ans plus tôt, à la veille de l'Indépendance. Il lui décrit l'Algérie d'aujourd'hui, s'amuse des petits bénéfices qu'il fait, à soixante-dix ans, en revendant du sable d'un bout à l'autre du pays, se moque tendrement de la réussite trop clinquante de ses fils. Des réunions clandestines à deux pas de la ferme aux descentes à la plage, du travail dans les vignes à la folie meurtrière des fêtes de l'Indépendance à Oran, c'est tout un pan du passé qui renaît peu à peu, habité par la figure du fermier Malusci, que Bahi, malgré tout ce qui les séparait, n'a pas oublié.
Là, il y a cinquante ans...
Là, avait dit Bahi, il y a cinquante ans et dans les yeux de Bahi, c'est comme si c'était hier et cette singulière fiction aux allures de récit oral au flot ininterrompu nous ramène et nous renvoie sans cesse à cette histoire singulière qui regarde deux êtres, deux anciens complices. Il y a l'histoire des nations et puis dedans l'histoire des individus. L'histoire de Bahi et Malusci dans l'Histoire de la guerre d'Algérie. C'est l'histoire d'une complicité très particulière qui ne concerne qu'eux et les réunit dans une nostalgie qui défie les deux camps qui ont fini par s'entretuer. C'est une histoire fondatrice pour Bahi et ce qui fait son sourire, sa malice, sa singularité et peut-être aussi sa fortune. C'est peut-être ce qui sauverait et a sauvé Malusci. C'est une histoire qui défi les lois de l'Histoire et révèle deux personnalités. C'est le récit d'un messager qui a rétablit un lien ancien entre les deux hommes. C'est une émotion qui remonte et invite le messager à partager une autre vie comme un parent inconnu de l'autre côté de la méditerranée, celle de Bahi, un personnage qui nous devient familier dont on imagine le visage, les tics... ça n'enlève rien à l'atrocité de cette guerre coloniale et ne rachète personne mais là fut le début de la fin de leur histoire avant que le temps, longtemps après face remonter leurs souvenirs. La nostalgie est peut-être un terrain neutre. On revient en arrière comme ils se revoient là comme si c'était hier avec ce que cette histoire avait laissé en chacun d'eux, une chose singulière qui sans être apparente aura forgé en partie deux individus. Deux portaits dans l'Histoire et une langue, celle du messager qui note tout de la singularité de cette rencontre avec un être simple et extraordinaire à la fois. Magnifique !