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À quiconque s’interroge sur le rôle des images dans notre connaissance de l’histoire, l’atlas
Mnémosyne apparaît comme une oeuvre-phare, un véritable moment de rupture épistémologique.
Composé, mais constamment démonté, remonté, par Aby Warburg entre 1924 et 1929, il ouvre
un nouveau chapitre dans ce qu’on pourrait nommer, à la manière de Michel Foucault, une
archéologie du savoir visuel. C’est une enquête « archéologique », en effet, qu’il aura fallu mener
pour comprendre la richesse inépuisable de cet atlas d’images qui nous fait voyager de Babylone
au XXe siècle, de l’Orient à l’Occident, des astra les plus lointains (constellations d’idées) aux
monstra les plus proches (pulsions viscérales), des beautés de l’art aux horreurs de l’histoire.
Ce livre raconte, par un montage de « gros plans » plutôt que par un récit continu, les
métamorphoses d’Atlas, ce titan condamné par les dieux de l’Olympe à ployer indéfiniment sous
le poids du monde, en atlas, cette forme visuelle et synoptique de connaissance dont nous
comprenons mieux, aujourd’hui, depuis Gerhard Richter ou Jean-Luc Godard, l’irremplaçable
fécondité.
On a donc tenté de restituer la pensée visuelle propre à Mnémosyne : entre sa première
planche, consacrée à l’antique divination dans les viscères, et sa dernière, hantée par la montée du
fascisme et de l’antisémitisme dans l’Europe de 1929. Entre les deux, nous aurons croisé les
Disparates selon Goya et les « affinités électives » selon Goethe, le « gai savoir » selon Nietzsche
et l’inquiétude chantée dans les Lieder de Schubert, l’image selon Walter Benjamin et les images
d’August Sander, la « crise des sciences européennes » selon Husserl et le « regard embrassant »
selon Wittgenstein.
Sans compter les paradoxes de l’érudition et de l’imagination chers à Jorge Luis
Borges.
Oeuvre considérable de voir et de savoir, le projet de Mnémosyne trouve également sa source dans
une réponse d’Aby Warburg aux destructions de la Grande Guerre. Non content de recueillir les
Disparates du monde visible, il s’apparente donc à un recueil de Désastres où nous trouvons,
aujourd’hui encore, matière à repenser, à remonter, poétiquement et politiquement, la folie de
notre histoire.