Galvaudée, récupérée, détournée, la " pensée unique ", notion polémique d'origine journalistique, a donné lieu à des débats qui ont débordé les champs politique et médiatique. Concernés au premier chef par l'offensive contre le " totalitarisme néo-libéral ", des chercheurs en économie ont trouvé là l'occasion de relancer un débat théorique fructueux, incitant dans leur sillage les sciences sociales à s'intéresser au phénomène de la " pensée unique ". Mais, à partir du moment où elle était dénoncée comme telle, la " pensée unique " a cessé de l'être. Qu'en est-il, dès lors, de la " pensée critique " qui, après l'avoir prise pour cible, est en passe maintenant de la supplanter, comme en témoigne la vogue récente, dans les discours officiels, de la thématique de la " régulation " aux dépens de celle de la " libéralisation " ? " Pensée unique " et " pensée critique " ne seraient-elles pas tributaires d'un impensé, commun à l'une et à l'autre, devenu lui-même impensable : celui d'un au-delà du capitalisme ? Rarement explicitée comme telle, tant ce qu'elle postule implicitement semble aller de soi, cette pensée unanime a envahi d'autres domaines que l'économique, suscitant, là encore, de pseudo " alternatives " qui ne parviennent jamais à s'extraire de la gangue idéologique d'un capitalisme posé comme pérenne, comme " horizon indépassable de notre temps ". Or, une pensée véritablement critique devrait pouvoir en proposer une analyse scientifique.