" Les souvenirs provoquent parfois beaucoup de chagrin, mais une fois qu'ils ont été réveillés vient ensuite une sérénité très étrange. Parce qu'on a planté son drapeau au sommet du chagrin. On l'a escaladé.
Et je remarque une nouvelle fois en écrivant cette confession que l'expression " il y a longtemps" n'existe pas finalement. Quand on évoque les souvenirs, tout se passe dans le présent, purement et simplement. De sorte que, à mon grand étonnement, les gens que j'ai aimés retrouvent une nouvelle vie. J'ignore ce qui leur permet de le faire. J'ai été heureuse de temps en
temps au cours des deux dernières semaines, le bonheur particulier qui est offert de la main du chagrin."
Lilly Bere, irlandaise, vient de perdre son petit fils, Bill. Elle a quatre-vingt-neuf ans et il y a trop de morts dans son histoire. Avant de quitter cette vie, elle tente d'écrire ses souvenirs.
Fille de James Patrick Dunne, chef de la police royale municipale de Dublin, elle épouse Tadg Bere, un Tan (ancien militaire engagé pour lutter contre l'IRA). Menacés de mort par l'IRA, ils s'enfuient en Amérique, terre promise (pays de Canaan) pour beaucoup d'immigrés. Les souvenirs de Lilly sont ainsi une histoire romanesque marquée par les victimes des différentes guerres (guerre d'indépendance irlandaise, première guerre mondiale où elle perd son frère Willie, guerre du Vietnam à laquelle participe son fils Ed, puis la guerre du Koweit pour Bill son petit-fils).
Lilly semble condamnée à perdre tous les hommes de sa vie mais elle est par contre toujours aidée par son entourage. Elle découvre le racisme avec son amie Cassie, une jeune noire avec laquelle elle travaille chez Mme Bellow puis la solidarité irlandaise auprès de sa nouvelle patronne, Mme Wolohan.
Le style narratif qui mêle présent et passé peut gêner certains lecteurs, surtout que se mêlent les errances de pensée d'une vieille dame mais personnellement j'ai apprécié cette façon de redécouvrir une vie.
" Ce matin ma tête est comme un poney indompté qui cabriole."
Le personnage de Lilly est remarquable car même si elle traverse beaucoup de souffrances et de terreurs, elle conserve "une bonté lumineuse", une grâce, une délicatesse qui en font un être attachant, admirable.
J'avais déjà beaucoup apprécié l'auteur dans un précédent roman (Le testament caché) qui lui aussi raconte la confession d'une vieille dame. J'ai retrouvé ici cette atmosphère de destin tragique avec cette réelle compassion et grandeur du personnage principal.
L'auteur bâtit une fresque romanesque passionnante, basée sur l'histoire réelle de sa famille, avec l'arrière-plan d'une époque tragique, l'émotion d'un personnage authentique et un dénouement inattendu qui ajoute une note supplémentaire à cette passion qui m'a tenue jusqu'au bout du roman.
Ce livre est pour moi un coup de cœur parce qu'il correspond à ma sensibilité et que je tiens à le défendre dans cette rentrée littéraire qui en parle peu.
Une vie
Ce livre, c’est l’histoire tourmentée de Lily. Arrivée au crépuscule de son existence, cette femme de quatre-vingt-neuf ans nous raconte sa vie difficile et parfois un peu mystérieuse. Avec simplicité et retenue, elle nous dévoile par petite touche la fuite précipitée de son Irlande natale, son installation difficile aux États-Unis, la mort de ses proches et tous les autres grands drames de sa vie. Sans jamais tomber dans le mélo, Sebastian Barry nous offre le magnifique portrait d’une femme courageuse qui fera toujours face à l’adversité jusqu’à la dernière épreuve, celle de trop, la perte de son petit-fils. Le nom des chapitres est d’ailleurs un douloureux comptage des jours sans lui. Un roman qui m’a happé dans un tourbillon d’émotion au côté de Lily Bere et des hommes de sa vie. Une très belle lecture.