En cours de chargement...
Avec Le Grand Cahier nous étions dans un pays en guerre où deux enfants, des jumeaux, apprenaient à survivre en usant toutes les ressources du mal et de la cruauté. Puis les jumeaux se séparaient, l'un d'eux franchissant la frontière, laissant l'autre en son pays pacifié mais dominé par son régime autoritaire. Seul, désormais privé d'une partie de lui-même, Lucas, celui resté, semble vouloir se consacrer au bien.
Il recueille Yasmine et. adopte son fils Mathias, porte sa pitance au curé du village, tente de consoler Clara dont le mari fut pendu pour " trahison ", écoute avec attention la confession de Victor, le libraire qui rêve d'écrire un livre... Et si c'était pire ? Le propre d'un système totalitaire n'est-il pas de pervertir à la base tout élan de générosité ? Ce que découvrira Claus, le jumeau exilé de retour sur les lieux de ses premiers forfaits, sera plus terrible encore : qu'il n'y a pas de générosité sans crime, et qu'on est toujours deux, même quand on est seul.
Au-delà de la fable, l'auteur poursuit ici son exploitation impitoyable d'une mémoire si longtemps divisée, à l'image de l'Europe, et nous livre une belle méditation désespérée sur la littérature.
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé
Ce deuxième volet de la trilogie des jumeaux est tout aussi glacial et dérangeant que son prédécesseur. La nouveauté réside dans la séparation des deux frères : l’un passe la frontière à la suite de son père et l’autre essaie de vivre sans lui – ce qui est une bonne chose pour faire avancer la fiction tout en évitant la redite du premier épisode. Sinon, rien de nouveau sous le soleil pourrait-on dire : la guerre est finie mais ce n’est pas pour cela que l’être humain s’améliore, bien au contraire.
Agota Kristof poursuit le même objectif que les jumeaux – ce qui n’est guère étonnant quand on sait que la trilogie écrite par l’auteur constitue en fait le grand cahier tenu par Lucas et Claus : aller à l’essentiel et ne pas s’embarrasser du superflu. En ce qui concerne l’écriture, cela se traduit par un verbe toujours plus économe et dépouillé. Par rapport à la narration, cela passe par de grandes ellipses (qui couvrent parfois des mois entiers, voire des années) : ne restent alors que les événements significatifs par rapport à l’histoire – l’os du récit en quelque sorte, que l’auteur ne cesse de chercher comme une véritable obsession. La cruauté de l’humanité ainsi que la solitude des êtres en ressortent avec d’autant plus d’éclat.
Un deuxième volet à la beauté froide et glauque, qui nous happe littéralement. Comme hypnotisé, j’attaque de suite le troisième tome !