« Le monde est dans ma tête. Mon corps est dans le monde. » Cette enveloppe lieu de mémoire et de souffrance, de sexe et de maladie, ce corps acteur principal des Chronique d’hiver paru l’année dernière. Mais qu’est-ce qu’un corps sans esprit pour le mouvoir, le guider, sans cette zone intérieure ?
« Qui étais-tu, petit homme ? » Paul Auster s’interroge sur « le paysage mental de [son] enfance » sur ce cheminement qui fit de lui cet homme, cet écrivain. Se fixant cette ultime limite de douze ans, cette ligne au-delà de laquelle « tu n’es plus un enfant », cherchant
aux tréfonds les racines de ce moi. « En dépit des apparences, tu es toujours celui que tu as été même si tu n’es plus la même personne » (page 13). Le chemin fut long depuis cette épiphanie survenue à six ans jusqu’à l’accouchement spirituel et intellectuel. La mémoire trahissant parfois les souvenirs, alliée incertaine car le souvenir ne ressemble plus à cette réalité.
« Tes pensées les plus précoces, ces vestiges de la manière dont petit enfant, tu vivais à l’intérieur de toi-même. Tu ne te souviens que d’une partie d’entre-elles, bribes isolées, brefs éclairs de reconnaissance qui surgissent en toi à l’improviste et au hasard, suscités par l’odeur d’une chose, ou son contact, ou par la manière dont la lumière tombe sur elle à tel moment présent de ta vie d’adulte. Du moins tu penses pouvoir te souvenir, tu crois te souvenir, mais il se peut que tu ne te souviennes pas du tout, ou que ne te revienne qu’une réminiscence ultérieure de ce que tu crois avoir pensé à cette époque lointaine désormais pratiquement perdue pour toi » (page 12), tel les souvenances de ce père menteur qui ne sont plus que bribes d’apitoiement. Dès lors, c’est l’éveil, les interrogations qui émaillent ta vie. « Pour la première fois de ta vie une expérience t’avait mené dans une zone d’ambiguïté absolue. Une question avait été soulevée, et elle ne pouvait pas trouver de réponse » (page 53). Commence cette quête d’explication, cette immersion dans l’univers de Poe et de la littérature, des petits poèmes, des premiers récits, des rêveries, des errances de plus en profondes et lointaines à l’instar de Fogg dans les affres de Central Park.
Les années cinquante, c’est l’époque du développement de l’après-guerre. Cette Amérique souveraine qui maltraite ses frères noirs ou indiens se profile chaque jour un peu plus. Cette bulle de façade issue du monde de l’enfance s’étiole, comme s’écroule la légende d’Edison parallèlement à l’apprentissage difficile de la judaïté. Cette résurgence « conséquence directe des camps de la mort », « le moteur qui a poussé des gens comme tes parents à rejoindre une congrégation, c’est la culpabilité, la crainte que si l’on n’apprenait pas à leurs enfants comment devenir des Juifs, la notion même de judaïsme s’amoindrirait aux États-Unis et finirait par disparaître » (page 86).
Paul Auster se livre, s’interroge dans cette biographie labyrinthienne de l’esprit. Entre réflexion et ennui, entre pensées et souvenirs, la vocation se dévoile, les révoltent et les combats s’éveillent, l’homme se forge une identité au travers de films comme l’homme qui rétrécit ou Je suis un évadé. Ultime revirement de ce hasard austérien, la dernière partie rompt cette ligne, cette frontière définie en début d’ouvrage. « Environ deux mois après avoir entrepris ce livre, tu as reçu un coup de fil de ta première femme… » commence alors la découverte d’une correspondance de 500 pages, de l’exploration d’un inconnu.
Excursions dans la zone intérieure explore les abîmes de l’âme, de l’inconnu, ces zones oubliées, nous livre un dialogue entre un Auster enfant et un écrivain maître de son art à la recherche de ce premier moi aujourd’hui disparu dans les limbes de la mémoire. Mais inéluctablement, ces excursions livrent leur verdict « (…) presque tout ce que tu as fait, dit et pensé quand tu étais jeune a été oublié, et même si tu te souviens de bien des choses, il y en a davantage, mille fois plus, dont le souvenir t’échappe » (page 193). Auster se livre sur le fil dans un jeu périlleux.
à la recherche du moi
« Le monde est dans ma tête. Mon corps est dans le monde. » Cette enveloppe lieu de mémoire et de souffrance, de sexe et de maladie, ce corps acteur principal des Chronique d’hiver paru l’année dernière. Mais qu’est-ce qu’un corps sans esprit pour le mouvoir, le guider, sans cette zone intérieure ?
« Qui étais-tu, petit homme ? » Paul Auster s’interroge sur « le paysage mental de [son] enfance » sur ce cheminement qui fit de lui cet homme, cet écrivain. Se fixant cette ultime limite de douze ans, cette ligne au-delà de laquelle « tu n’es plus un enfant », cherchant aux tréfonds les racines de ce moi. « En dépit des apparences, tu es toujours celui que tu as été même si tu n’es plus la même personne » (page 13). Le chemin fut long depuis cette épiphanie survenue à six ans jusqu’à l’accouchement spirituel et intellectuel. La mémoire trahissant parfois les souvenirs, alliée incertaine car le souvenir ne ressemble plus à cette réalité.
« Tes pensées les plus précoces, ces vestiges de la manière dont petit enfant, tu vivais à l’intérieur de toi-même. Tu ne te souviens que d’une partie d’entre-elles, bribes isolées, brefs éclairs de reconnaissance qui surgissent en toi à l’improviste et au hasard, suscités par l’odeur d’une chose, ou son contact, ou par la manière dont la lumière tombe sur elle à tel moment présent de ta vie d’adulte. Du moins tu penses pouvoir te souvenir, tu crois te souvenir, mais il se peut que tu ne te souviennes pas du tout, ou que ne te revienne qu’une réminiscence ultérieure de ce que tu crois avoir pensé à cette époque lointaine désormais pratiquement perdue pour toi » (page 12), tel les souvenances de ce père menteur qui ne sont plus que bribes d’apitoiement. Dès lors, c’est l’éveil, les interrogations qui émaillent ta vie. « Pour la première fois de ta vie une expérience t’avait mené dans une zone d’ambiguïté absolue. Une question avait été soulevée, et elle ne pouvait pas trouver de réponse » (page 53). Commence cette quête d’explication, cette immersion dans l’univers de Poe et de la littérature, des petits poèmes, des premiers récits, des rêveries, des errances de plus en profondes et lointaines à l’instar de Fogg dans les affres de Central Park.
Les années cinquante, c’est l’époque du développement de l’après-guerre. Cette Amérique souveraine qui maltraite ses frères noirs ou indiens se profile chaque jour un peu plus. Cette bulle de façade issue du monde de l’enfance s’étiole, comme s’écroule la légende d’Edison parallèlement à l’apprentissage difficile de la judaïté. Cette résurgence « conséquence directe des camps de la mort », « le moteur qui a poussé des gens comme tes parents à rejoindre une congrégation, c’est la culpabilité, la crainte que si l’on n’apprenait pas à leurs enfants comment devenir des Juifs, la notion même de judaïsme s’amoindrirait aux États-Unis et finirait par disparaître » (page 86).
Paul Auster se livre, s’interroge dans cette biographie labyrinthienne de l’esprit. Entre réflexion et ennui, entre pensées et souvenirs, la vocation se dévoile, les révoltent et les combats s’éveillent, l’homme se forge une identité au travers de films comme l’homme qui rétrécit ou Je suis un évadé. Ultime revirement de ce hasard austérien, la dernière partie rompt cette ligne, cette frontière définie en début d’ouvrage. « Environ deux mois après avoir entrepris ce livre, tu as reçu un coup de fil de ta première femme… » commence alors la découverte d’une correspondance de 500 pages, de l’exploration d’un inconnu.
Excursions dans la zone intérieure explore les abîmes de l’âme, de l’inconnu, ces zones oubliées, nous livre un dialogue entre un Auster enfant et un écrivain maître de son art à la recherche de ce premier moi aujourd’hui disparu dans les limbes de la mémoire. Mais inéluctablement, ces excursions livrent leur verdict « (…) presque tout ce que tu as fait, dit et pensé quand tu étais jeune a été oublié, et même si tu te souviens de bien des choses, il y en a davantage, mille fois plus, dont le souvenir t’échappe » (page 193). Auster se livre sur le fil dans un jeu périlleux.