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Il se pourrait que tout commence par un coup de sang. Une tache
s'étale sur le pare-brise à cause de la vitesse, une tache qui fait
grand rouge sur la nuit. Et c'est comme une prise de
conscience : c'est sur la route des vacances que Romain
Fustier s'éveille à sa propre inquiétude, c'est-à-dire à sa façon
d'être attentif. Et cette première expérience d'un monde vacillant,
qui se révèle dans la lampe rouge d'un rapace écrasé sur le
pare-brise, se répète indéfiniment, de façon automatique et
incontrôlable, dans une sorte de road-movie que déroulent les
poèmes.
On roule, que ce soit sur les départementales ou
l'autoroute, on dévide un très long chemin d'errance pour toucher
ce chez-soi du trajet, ce chez-soi du tremblé de vivre, pour
atteindre enfin, peut-être, « ce no man's land qui vous
colle au cerveau ». Les images défilent au pas lent d'un
moteur, les phrases se télescopent, s'enchassent, comme les
réalités qui s'avancent l'une dans l'autre. C'est un monde qu'on
traverse pendant qu'il nous traverse, qui se dévide mais stagne,
là, dans le pare-brise.
Et de même, quelque chose stagne en nous,
quelque chose reste arrêté, un point de fixation qui fait préférerà l'auteur les vieilleries, le « goût des choses surannées
/ des toits vert-de-gris et des bâtiments désuets / les derniers
vers de Laforgue les villas thermales / bordant les avenues
d'avant-guerre les hôtels / démodés les fronts de mer vieillots où
les glaces / ont le parfum des sorbets d'un temps
révolu ».
Mais, si l'expérience de ce tremblé, de cette
incertitude de vivre, provoqués par les plus infimes évènements,
peuvent bouleverser l'auteur (« une feuille de paulownia
s'est posée sur le / capot de notre voiture garée sur un parking /
et cet évènement anodin a fait basculer le / décor le cours bien
réglé de nos existences »), il ne fait pas que subir cette
répétition.
En effet, il écrit « Je me cherche quelque chose à
déchiffrer ».
C'est que pour lui, la poésie est exercice
d'inquiétude. Il s'agît d'être vigilant. Dans son flux continu, le
monde nous informe de ce que nous sommes. On dirait qu'il répond
parfois à nos vécus les plus intimes. Alors il s'agit de se saisir
au passage. Romain Fustier se livre à un travail d'observateur qui,
guettant, se guète comme s'il pouvait à la fois être à la fenêtre
et se voir passer dans la rue.
C'est peut-être cela« voir le dehors de façon
hallucinée » : voir et se voir dans le décor en train
d'avancer. Ainsi, Boîte automatique du
crâne déroule le monde et témoigne de cette sorte de
décollement vécu par l'observateur attentif à lui-même, dans les
choses, et à ce qu'elles déplacent en lui. Et si, en évoquant ce
rapace, c'est l'image d'une « lampe écrasée » qui me
vient, c'est parce que Romain Fustier est particulièrement sensible
aux lumières, aux ambiances qu'elles dégagent, à leur façon de
mettre en présence le monde premier, stable et sûr de l'enfance, et
le monde tremblé qui nous saute à la gorge, un beau jour :« les lueurs bleutées du pressing à travers le / pare-brise
donnent au carrefour un air de / piscine une allure de menthe
claire ouvrant / sur la rue qu'on emprunte à l'heure
noire » On pensera peut-être au lampes de secours de
Jean-Paul Sartre lorsqu'il se rappelle, dans Les mots, les séances
de cinéma avec sa mère « Les rumeurs touffues remplissaient la
salle, on réinventait le langage, l'ouvreuse vendait à la criée des
bonbons anglais, ma mère m'en achetait, je les mettais dans ma
bouche, je suçais les lampes de secours.
Les gens se frottaient les
yeux, chacun découvrait ses voisins. » Et c'est ce ce passage
toujours neuf, toujours à refaire, ce passage d'un monde à l'autre
qui est au coeur du travail de Romain Fustier. C'est peut-être à
cela que nous devons être attentif.
***
Romain Fustier (Lien -> http://www.printempsdespoetes.com/index.php?rub=poetheque&page=14&url=http://www.printempsdespoetes.com/poetheque/index.php?fiche_poete%26cle=318%26nom=Romain%20Fustier) est né en
1977 à Clermont-Ferrand.
Il vit actuellement à Montluçon où il
anime avec Amandine Marembert la revue et les éditions
Contre-allées. Il a publié une quinzaine de recueils de poèmes dont"le volume de nos existences" (Polder) et "une ville allongée sous
l'épiderme" (Henry & Ecrits des Forges). Il participe à
l'organisation du festival de poésie contemporaine Poètes au potager (Lien -> http://poetesaupotager.over-blog.com/), chaque dernier week-end de juin, à Montluçon.
Armand Dupuy