Que faire lorsqu'on a vingt ans, qu'on a perdu père et mère, qu'on est petit, bancroche. juif et pauvre ? Prendre la route - et considérer que la boiterie fait partie des charmes du voyage. Car le jeune Armin a mi projet en tête : il étudie les langues avec passion et s'est mis dans l'idée de retrouver au cœur de l'Asie centrale le berceau de sa langue maternelle, le hongrois, qu'il pense être issu de la souche turco-mongole. Il apprend donc une douzaine d'idiomes divers, dont le turc et le persan, traverse les Balkans et se retrouve à vingt-cinq ans (en 1857) à Constantinople, qui sera son " camp de base ". En quelques années, il devient plus turc que le plus turc des Turcs, fréquente les mosquées et se fait, sous le nom de Rachid Effendi, une solide réputation de commentateur du Coran. Bref, il est prêt à entreprendre son " grand voyage ". Déguisé en derviche errant - habit rapiécé et barbe flottante -, il gagne Téhéran en 1862 ; et de là, à pied, à dos d'âne ou de chameau, parcourt les étendues interdites du Turkestan (qui ne sont pas encore, en ces années, annexées par les Russes). Il atteint les cités légendaires de Khiva, Boukhara. Samarcande... où quelques Européens imprudents (ou insuffisamment déguisés) se sont fait naguère encore raccourcir d'une tête, escalade les contreforts du Turkestan chinois, gagne l'Afghanistan. et s'en retourne par les villes saintes de Hérat et Meched - où il ne fait pas bon, déjà, encourir la suspicion des ayatollahs. Son récit vaut bien sûr par son pesant d'aventures, mais plus encore, peut-être, par le " ton " sur lequel il nous est conté. Vambery s'est rudement frotté au monde, et ce contact lui a permis de récolter avant l'âge un brin de sagesse. C'est le contraire d'un fanatique : indulgence et ironie sont ses armes dans l'adversité. Ce qui ne l'empêche pas d'épingler vertement cagots et canailles qui, sous couleur de piété, ne rêvent que d'accaparer le pouvoir. On l'aura compris, son livre, après plus d'un siècle, n'a rien perdu de son actualité.